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Sixième partie :
L’évolution de la pensée économique du 19e siècle à nos jours.
Le monde politique et économique du XXe siècle a été essentiellement marqué par une double dichotomie :
Voir également notre page « Une mondialisation contemporaine forgée par l’idéologie néolibérale »
La doctrine néoclassique : mieux la connaître est important à plus d’un titre.
Non seulement parce qu’elle a débouché, entre autres, sur le courant monétariste de Milton Friedman, au cœur de la mondialisation commerciale et de la globalisation financière contemporaines, mais aussi et surtout parce que c’est certainement dans la dimension psychologique de sa vision biaisée de l’Homme et de la société que nous pourrions trouver les clés des dérives auxquelles elle a conduit.
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►►►►Léon Walras | ►►►Friedrich Hayek | ►►►►Milton Friedman | |
►►►.. (1834 - 1910) | ►►► (1899 – 1992) | ►►►►.(1912 – 2006) |
Plutôt que d’entrer dans un détail très poussé des variantes théoriques des différents écoles économiques néoclassiques, ce que de nombreuses sources livresques font très bien et que Wikipédia synthétise parfaitement, c’est aux composantes philosophiques, éthiques de ce courant que nous nous intéressons ici.
De ses tenants…
(lire la suite…)
► École néoclassique et courant néolibéral, est-ce identique ?
Il est vrai que, dans le langage économique courant, un amalgame est souvent fait entre les deux termes.
● Mais en remontant le cours de l’histoire de la pensée économique, les parentés de la pensée néoclassique s’avèrent beaucoup plus variées que ne le suggérerait à première vue une descendance réduite à tort au néolibéralisme contemporain.
Une recherche effectuée par une universitaire américaine, Johanna Bockman, met en évidence cette diversité, dans la quelle elle voit notamment une explication possible de la conversion très rapide des pays d’Europe de l’Est au néolibéralisme dans les années 1990, dès l’effondrement de l’URSS :
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La Vie des Idées - Sarah Kolopp : ►►►►►►►►► ►►►►► ► ► « Les racines socialistes du néolibéralisme » |
● Elle nous rappelle ainsi que l’histoire de la pensée économique ne se limite pas à une collection d’ouvrages achevés mais dépassés, juxtaposés sur les étagères virtuelles de la mémoire de l’humanité.
Comme la matière et l’énergie en mouvement et en recombinaison permanente dans l’univers, cette pensée multiple est la source potentielle vivante de concepts nouveaux et de possibles réorientations, contrairement à cette pensée unique d’inspiration néolibérale, sclérosée et sclérosante, qui enchaîne depuis plus de 30 ans la gouvernance économique des États…
► Fil conducteur et divergences des principaux courants néo-classiques
● Un fil conducteur reliant les différents courants de pensée néoclassiques et néolibéraux consiste dans l’analyse microéconomique, par opposition à l’analyse macroéconomique.
Pour oser une comparaison en matière de médecine et de politique de santé :
→ l’analyse microéconomique s’apparente au travail d’un spécialiste
→ (cardiologue, neurologue, ophtalmologue, nutritionniste, etc.),
→ l’analyse macroéconomique, à celle du médecin généraliste,
→ et à un niveau plus global, l’épidémiologiste et le comité d’éthique,
→ et une gouvernance macroéconomique relève du ministre de la santé et de l’OMS.
Il n’est pas davantage conseillé de se faire opérer à cœur ouvert par son nutritionniste, que de confier la gestion du système de santé publique à un représentant de l’industrie du médicament.
Pas plus que de confier les clés de l’économie mondiale et le sort des populations aux représentants du commerce ou de la finance. Ce que nous faisons pourtant depuis plus de 30 ans…
● Un des piliers du courant néoclassique, la théorie marginaliste, ou révolution marginaliste, constitue une rupture avec la pensée économique classique.
L’économiste français Léon Walras, l’un des précurseurs du courant marginaliste, s’est intéressé à l’équilibre général sur un marché en situation de concurrence, c’est-à-dire à la fois à l’utilité marginale d’un bien, perçue par le consommateur en fonction du besoin qu’il éprouve et de la quantité dont il dispose déjà, ainsi qu’à la valeur d’échange résultant automatiquement de cet équilibre entre l’offre et la demande de ce bien.
Les applications contemporaines de ce courant marginaliste sont assez évidentes en matière de fixation des prix, d’études marketing et même dans le domaine publicitaire afin de modifier la perception de l’utilité marginale perçue par le consommateur en repoussant le sentiment de satiété…
Mais Walras distinguant le fait naturel du fait humaniste, le domaine industriel du domaine moral, il encouragea différentes formes d’*associations populaires* et de coopératives (de production, de crédit, de consommation), se situant lui-même politiquement parmi les socialistes. Il fut donc à la fois un économiste néoclassique et un représentant du “socialisme de marché”.
● Si les monétaristes tels que Friedrich Hayek et Milton Friedman sont des adeptes incontestables de l’économie de marché, ils sont en revanche farouchement opposés à tout système socialiste.
► L’école néoclassique se livre à un usage immodéré des mathématiques
● Prétendant appuyer ses raisonnements sur une économétrie rigoureuse, elle établit des axiomes et des lois voulues universelles, résultant en réalité d’une analyse pseudo-scientifique fondée sur des hypothèses parfaitement artificielles. Par exemple :
→ les consommateurs disposent d’une information claire, leur permettant de décider en parfaite connaissance de cause,
→ tous les agents économiques agissent de manière purement rationnelle,
→ etc.
Le raisonnement économique néoclassique, de portée microéconomique, et non systémique (à la différence de l’approche macroéconomique keynésienne), relève souvent plus du syllogisme et souvent même du sophisme que de la logique pure…
Il est capable d’appliquer des équations rigoureusement justes, à des problématiques dont le domaine de définition est tout aussi rigoureusement biaisé… C’est notamment le cas du présupposé selon lequel les décisions des acteurs économiques seraient optimales parce que libres et prises par eux en parfaite connaissance de cause.
● Quant à la mise en équation de la psychologie comportementale humaine, en l’humanoïde caricature de l’Homo Œconomicus, elle ne pouvait que conduire les prévisionnistes néolibéraux aux erreurs d’analyse grossières dont ils ont toujours été coutumiers.
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LE MONDE CULTURE ET IDÉES : « Illogique “Homo œconomicus » |
► Qui est convaincu que…
● … l’économie a toujours raison, et que la main invisible des marchés est génératrice d’équilibre et d’ordre, grâce à la rencontre rationnelle de l’offre et de la demande,
● … la mondialisation est un phénomène spontané, auto-induit et inéluctable, auquel nous devons nous adapter pour en tirer le meilleur parti possible,
… ne se démarque pas foncièrement du naturalisme économique du courant des Physiocrates, qui joua un rôle prépondérant au siècle des Lumières.
Voir la première page de ce chapitre de la pensée et des courants économiques :
L’évolution de la pensée économique pré-industrielle….
► Le semi-héritage physiocratique du courant économique néoclassique.
● Les principes d’un naturalisme économique s’inspirant des lois de la Nature :
→ La sélection naturelle,
→▪ permettant aux plus forts de survivre et de s’épanouir,
→▪ la disparition des plus faibles renforçant la génétique de l’espèce,
→▪ dont les capacités d’adaptation assurent l’évolution.
→ L’ingérence humaine dans les lois de la nature n’est pas souhaitable,
→▪ de même en économie, la seule règle doit être « laisser faire » et « laisser
→. passer »,
→▪ ainsi, les flux économiques bénéficient des lois naturelles qui les régissent,
→▪ comme l’intérêt des acteurs économiques découle de la loi naturelle du
→. marché.
Cette conception justifiant à leurs yeux que l’État intervienne le moins possible dans le domaine économique, sinon pour imposer par la loi et dans les faits… ce non interventionnisme.
Nous voyons donc bien poindre là en économie le fameux oxymore libéral :
« Il est interdit d’interdire ! »
● L’erreur, compréhensible en son temps, de ces explorateurs de la pensée libératrice, fut sans doute une croyance mécaniste excessive, empruntant les impasses de Descartes (notamment sa conception de l’Animal-machine, qu’il finit par abandonner), plutôt que ses voies lumineuses…
En confondant des lois aptes à réguler au mieux les sociétés humaines avec celles de la Nature, le courant physiocratique préfigurait la transformation des lois démocratiques de nos sociétés modernes en loi de la jungle commerciale et spéculative mondialisée.
Prenant le pas sur la réflexion et l’analyse désintéressées, le commerce international en expansion au XVIIIe avec l’essor des compagnies maritimes, du colonialisme et de l’esclavage, a sans doute contribué à geler l’évolution de la pensée physiocratique vers une pensée systémique apte à différencier les lois naturelles et celles aptes à répondre aux besoins propres à la nature humaine et aux sociétés.
● Mais à l’erreur mécaniste des Physiocrates, les néoclassiques ajoutèrent le handicap de la myopie microéconomique.
Contrairement à la pensée économique des Physiocrates, la faute majeure de l’approche trop exclusivement micro-économique de la doctrine néolibérale, est d’avoir négligé d’adopter tout réalisme systémique.
En axant ses dogmes sur la réduction de la psychologie comportementale humaine au fonctionnement d’un programme d’ordinateur, même en affinant sans cesse ses variantes comme le fait la Théorie des Jeux, elle peine à intégrer un facteur temps réaliste et à projeter dans l’avenir la répercussion combinée des impacts des activités économiques.
Notamment, faute de comprendre le fonctionnement des écosystèmes, elle pourrait juger nécessaire de les respecter. Mais au contraire, elle se contente de les ignorer…
Cela explique peut-être en partie sa réticence persistante (ou son incapacité ?) à prendre en compte les impacts sociétaux et environnementaux négatifs des activités économiques. Et plus encore à intégrer à ses équations d’optimisation du profit, les termes de la dette sociétale et environnementale qui hypothèque l’avenir de l’humanité, au contraire de la dette publique des États qui enrichit ses créanciers privés.
Et lorsqu’elle les prend en compte, ce n’est que sous la forme détournée de nouveaux produits financiers, tels que le crédit-carbone.
► Le néolibéralisme, altération du libéralisme économique
… et faux-semblant du libéralisme philosophique des Lumières.
● Bien que d’inspiration libérale par son attachement à la liberté d’entreprise, la pensée économique initiée par Milton Friedman s’intéresse au capital moins comme instrument d’investissement productif, que comme source permanente de revenu.
De ce point de vue, deux conditions priment sur toute autre :
→ la conservation de la valeur du capital financier, et au besoin au détriment
→ du “capital humain”,
→ le profit, comme produit du facteur financier.
Cette conception ne pouvait qu’orienter l’économie néolibérale sur une voie très différente de celle des libéraux classiques.
● La principale rupture du courant néoclassique avec la pensée économique classique :
son abandon de la “valeur travail”
En 1923, Henri FORD et son emblématique “Ford T”
Pour illustration, lorsque Henri FORD décidait d’une augmentation du salaire de ses ouvriers pour leur permettre d’acheter les voitures qu’ils produisaient :
→ la place faite au pouvoir d’achat comme soutien de l’activité économique,
→ par la consommation, sans reniement de la valeur travail,
→ ni renoncement au profit assurant la rentabilisation de l’investissement
→ productif (équipements et organisation du travail à la chaîne),
… était compatible avec l’esprit du libéralisme économique, aussi bien qu’avec l’approche macroéconomique keynésienne (voir ci-dessous).
Pourtant Henri FORD ne pouvait guère être qualifié d’humaniste. Pour s’en tenir aux faits, nous devons constater qu’il finança le projet politique d’Hitler jusqu’à la guerre ; lequel le décora en 1938 de la « Grand-Croix de l’Aigle allemand »…
Et son opportunisme en temps de guerre, comme celui de bien d’autres industriels, en dit long sur l’inqualifiable injustice qui conduit un soldat pacifiste au peloton d’exécution, et un capitaliste multinational au sommet des indices boursiers : à la tête d’un consortium possédant des usines dans de nombreux pays, FORD s’enrichit plus encore pendant la guerre, en produisant de l’armement dans les camps opposés, aussi bien en Allemagne que dans les pays alliés !
Mais faute d’éthique, il savait qu’il ne prospérerait pas durablement en appauvrissant la classe ouvrière et la classe moyenne. Car à la différence des néolibéraux, il intégrait encore le facteur conditionnant toute évolution et toute gouvernance : le temps.
● Lorsque l’économie néolibérale de la mondialisation contemporaine base la compétitivité sur une concurrence par les coûts, au détriment des revenus du travail, elle est en rupture avec le libéralisme classique dont il est issu, et met à mal tous les mécanismes sur lesquels une gouvernance macroéconomique keynésienne fondait un développement socioéconomique soutenable.
En effet, la politique monétariste de Friedman base la conservation de la valeur du capital et sa profitabilité en priorité sur :
→ la lutte contre l’inflation, au prix de la baisse des revenus du travail et du
→ pouvoir d’achat des ménages,
→ l’altération de la valeur sociétale et environnementale (concept ignoré par les
→ économistes néolibéraux) des produits et des services, permettant
→ de maintenir artificiellement des coûts de production aussi bas que possible.
● Comme un moteur à 2 temps bien rodé, cette altération sociétale consiste,
→ dans un premier temps, dans la combinaison d’une pratique double :
→▪ le maintien volontaire d’un taux de chômage structurel excluant une partie de la
*→*▪ population de l’accès à l’emploi (robotisation croissante et / ou délocalisations
*→*▪ des emplois).
→▪ l’exploitation des populations les plus vulnérables, ne bénéficiant pas de droits
*→*▪ fondamentaux, dont celui du travail.
→ et dans un second temps, dans le recul du droit du travail dans les pays les
→ plus développés, au nom de la libéralisation du marché du travail et de l’amélioration
→ de la compétitivité.
► Une répartition intentionnellement biaisée des fruits de la croissance économique.
● Pour cela, il est important que le dialogue social (dans le cas d’un droit du travail institutionnalisé) ou d’un rapport de force naturel sur le marché du travail soit favorable à l’employeur et non à l’employé, afin que, le volume de main d’œuvre disponible soit supérieur à celui de l’offre d’emploi. Ce déséquilibre permet de réduire les prétentions syndicales et de maintenir les salaires aussi bas que possible.
● Dans ce cas, le différentiel permanent entre l’offre et la demande de travail produit un taux de chômage naturel (en termes de marché de l’emploi), permettant d’éviter toute poussée inflationniste défavorable au maintien des revenus financiers de l’argent placé (donc aux rentiers).
C’est pour cette raison que Friedman remet en cause le bien fondé des politiques de relance qui, selon lui, ne peuvent que provoquer de l’inflation contre laquelle il entend lutter par tous les moyens.
● Les théories monétaristes de Friedman sur la fiscalité, les privatisations et la déréglementation ont inspiré bien des politiques économiques à travers le monde, notamment celles des gouvernements de Ronald Reagan aux États-Unis, de Margaret Thatcher en Grande-Bretagne, d’*Augusto Pinochet* au Chili, ou de Brian Mulroney au Canada.
Toutes se sont acharnées à réduire le rôle interventionniste de l’État-providence,
→ en l’obligeant à renoncer à sa fonction de régulation socioéconomique
→ par une réduction drastique de son budget et de ses dépenses,
→ en allégeant considérablement la fiscalité des classes supérieures et des entreprises,
→ en privatisant le secteur public,
→ et en déréglementant l’économie privée (libre échange de biens & services et
→ libre circulation des capitaux).
► Erreur de conception ou péché originel néolibéral ?
… Des conséquences multiples
● La doctrine néolibérale considère et instrumentalise les vulnérabilités humaines, sociétales et politiques (déficit démocratique) caractéristiques des extrêmes différences de développement d’un territoire à l’autre, comme un potentiel socioéconomique naturel, offrant les propriétés chimiques d’une catalyse mondiale, source d’un processus d’enrichissement illimité.
Avec pour conséquences non prises en compte par elle, le fait d’hypothéquer sérieusement l’avenir de toute l’humanité :
→ en dégradant dangereusement l’environnement naturel des populations,
→ en déréglant les écosystèmes, le climat, et détruisant la biodiversité,
→ et en dénaturant les valeurs de civilisation constitutives de l’harmonie sociale,
→ à commencer par l’idéal de fraternité gravé au fronton de notre république…
Car au-delà de la dimension spirituelle ou de la vision romantique de la notion de « fraternité », ce sont ses vertus de solidarité et d’équité qui constituent ce juste milieu, ce ciment rendant compatible « liberté » et « égalité », le liquide amniotique indispensable à la cohésion et à l’harmonie des sociétés…
… à ses aboutissants.
Avec la montée en puissance de l’idéologie néolibérale durant les 30 dernières années, quelles sont les principales répercussions sociétales et environnementales des politiques économiques qui s’en sont inspirées, et de celles qui continuent à l’appliquer ?
(lire la suite…)
► Mondialisation économique contemporaine : une contamination néolibérale planétaire
● Avec la montée en puissance du néolibéralisme depuis les années 1980, le curseur entre les deux valeurs les plus emblématiques de la Révolution Française comme de toute démocratie, “Liberté” et “Égalité”, a été nettement poussé vers la “liberté” des acteurs économiques.
● Mais cela s’est fait au détriment de la justice socioéconomique visant à maintenir entre eux un degré d’égalité et surtout d’équité permettant au moins d’assurer le maintien de la cohésion sociale sur un territoire et la paix entre les peuples.
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► Au contraire de ses modèles et de ses dogmes, comme le prouve la mondialisation économique obéissant aux injonctions du néolibéralisme :
→ plus le marché du travail est dérégulé, et moins les travailleurs sont libres
→ du choix de leur activité professionnelle ou ont le pouvoir de négocier leurs
→ rémunérations et de remettre en cause leurs conditions de travail ;
→ plus le marché des biens et services est dérégulé, plus leurs filières de production
→ et de distribution sont éclatées et opaques, et moins les consommateurs disposent
→ des informations constitutives de leur qualité intrinsèque, y compris de nature
→ sociétale et environnementale, au contraire du chimérique Homo œconomicus de
→ la doctrine néoclassique ;
→ enfin, plus la concurrence est prétendue libre et non faussée, dans
→ l’intérêt des consommateurs, et plus elle aboutit à la constitution
→ d’oligopoles imposant leurs prix unilatéralement et se constituant de
→ véritables rentes, au détriment des consommateurs.
Car le biais dénaturant les principaux facteurs de la doctrine néoclassique se niche au cœur de ses dogmes, transformant à terme chacun des effets attendus en son exact opposé.
C’est pourquoi les politiques économiques mettant en pratique cette approche microéconomique sont largement à l’origine des crises systémiques successives dont nous sommes témoins et victimes, et dont la gravité ne cesse de s’amplifier.
► Le paradoxe de la libre concurrence
… ou « le renard libre dans le libre poulailler ».
● L’accomplissement inexorable de la prédiction marxiste de la _”baisse tendancielle du taux de profit“_ :
→ La recherche de profit optimal du néolibéralisme monétariste, passe par l’augmentation des marges commerciales et des profits financiers,
→ lesquelles misent sur la modération des coûts de production au détriment des revenus du travail (salaires).
→ Par ailleurs, la dérégulation des échanges commerciaux et des pratiques financières, exacerbent les rapports de force et la “sélection naturelle” au sein des acteurs économique, réduit leur nombre et leur diversité, pour contribuer à la formation de consortiums de plus en plus volumineux et tentaculaires.
De ce point de vue, et jusqu’à présent, les renards l’ont emporté…
● Mais par ailleurs, ce processus mondialisé s’est déroulé au détriment des classes sociales les plus consommatrices de biens et de services, les classes moyennes des pays développés, dont le pouvoir d’achat ne cesse de régresser par la destruction ou la précarisation de ses emplois, au profit d’une caste de “gagnants” de la mondialisation néolibérale, dont la faiblesse numérique explique l’impact relativement faible en termes de consommation.
Le volume de consommation perdu au niveau des classes moyennes ne sera jamais compensé par l’enrichissement de cette élite économique.
En outre, la doctrine néolibérale s’oppose à la redistribution de revenu par l’État au sein de la société, considérant qu’il s’agit d’un assistanat malsain et trop onéreux, responsable d’une fiscalité que cette même idéologie refuse, ou d’un niveau d’endettement au nom duquel elle prescrit le renoncement à l’État-providence.
En d’autres termes, seuls les profits privés étant à ses yeux acceptables, lesquels provoquent la régression du pouvoir d’achat du plus grand nombre, la doctrine néolibérale scie la branche consumériste sur laquelle elle est assise…
Car dans ce cas, il ne servira à rien aux multinationales d’avoir supplanté les États dans leur rôle de gouvernance économique et de fixation des prix, s’ils ont tué la poule aux œufs d’or.
Penser reproduire ce schéma de prédation au niveau des pays émergents, puis des pays les moins avancés sur en voie d’émerger, ne fait que repousser éventuellement l’échéance.
Tout spécialiste des écosystèmes connaissant les équilibres associant le sort des prédateurs à celui de leurs proies le sait : un prélèvement excessif dans les populations de proies risque d’entraîner la disparition des prédateurs devenus surnuméraires par rapport à elles.
Une fois « le libre poulailler » dévasté, l’avenir du « renard libre » se verra également condamné…
Le néolibéralisme : comment la doctrine néolibérale est-elle devenue cette pensée unique de la mondialisation qui a gagné progressivement la planète, à la manière d’une contamination virale sans frontières ?
Pour mieux comprendre les processus de la mondialisation et l’état actuel du monde, il est instructif de s’intéresser à cette dialectique du paradoxe permanent, dans laquelle excellait le chef de file du néolibéralisme, Milton Friedman.
L’illusionnisme néolibéral incarné par Milton Friedman : vidéo YouTube cliquer
(lire la suite…)
Voir également notre page La mondialisation de nos jours : un monde uni ?
► Un talent indéniable de Milton Friedman…
… réside dans sa capacité à inverser la réalité, en renversant les liens de cause à effet. Il procède en plusieurs étapes, au point de bouleverser les repères de bien des interlocuteurs…
On pourrait égrainer ses aphorismes et y percevoir une dialectique assez constante.
D’abord, il assène un paradoxe acceptable :
1 - « Je n’ai jamais dit que partout où il y avait capitalisme il y avait liberté. Le capitalisme n’est pas une condition suffisante pour la liberté. » Déclaration a priori inattendue de la part du chantre du capitalisme…
Puis une affirmation provocatrice, purement dialectique, qui déstabilise l’interlocuteur et peut même éventuellement le séduire :
2 - « D’ailleurs, l’U.R.S.S. est un État capitaliste. Simplement, c’est l’État qui détient le capital et le pouvoir de l’administrer. » Là, il joue sur la signification du capitalisme, en prenant le mot au pied de la lettre…
Enfin, il prétend illustrer son propos par un exemple suffisamment évident pour qu’il ne soit pas nécessaire de beaucoup y réfléchir : ce sont les Chinois qui tentent de fuir leur pays communiste pour se réfugier à Hong Kong, territoire éminemment capitaliste (alors encore rattachée au Royaume Uni), et non les habitants de Hong Kong qui tentent de fuir leur régime capitaliste pour se réfugier en Chine communiste. Là, l’exemple paradoxal de l’U.R.S.S. capitaliste est oublié. Dans les années 70, la Chine n’est effectivement pas plus capitaliste que ne l’était en réalité l’U.R.S.S.
Mais Friedman se garde bien de prendre comme exemple la dictature capitaliste du Chili de Pinochet, dont il a été le conseiller économique !
3 - « J’ai fait le constat inverse : partout où il y a liberté, il y a capitalisme. » Affirmation qui ne devient acceptable qu’après que le sens du mot capitalisme ait été dénaturé… et le terrain miné : limiter la liberté d’entreprendre équivaut à s’attaquer aux droits humains fondamentaux, ou coïncide avec une politique dictatoriale.
L’ambigüité du sous-entendu est ici essentielle à la manipulation recherchée, car il faut plus ou moins en déduire que si un pays n’offre pas suffisamment de liberté démocratique, c’est parce que la condition primordiale du capitalisme n’y est pas encore suffisante : la liberté des marchés !
C’est en fait la technique illusionniste du bonneteau, consistant à détourner le regard du public pour rendre le trucage imperceptible.
On retrouve la même supercherie dans la définition inversée du mot dumping, clé de voûte de toute la politique de déréglementation et de libre-échange de l’OMC.
On la retrouve encore lorsque des dirigeants politiques répondent aux populations excédées d’être constamment mises à contribution pour réparer les catastrophes provoquées par la prédation ultralibérale, qu’on les a parfaitement comprises et qu’on leur promet d’accélérer les réformes structurelles : c’est à dire libéraliser encore davantage et encore plus vite !
Ce qui revient à dire à un patient qui souffre d’une seule carie dentaire qu’on va tout faire pour soulager ses souffrances, en lui extrayant au plus vite un maximum de dents…
Dans cet extrait d’interview, Friedman évoque également un dogme de base de son idéologie : la loi du marché n’est pas un jeu à somme nulle. Pour qu’un participant soit gagnant, il n’est pas nécessaire que l’autre soit perdant. De l’échange peut naître un surplus de richesse que se répartissent les participants. Or de cette possibilité, il tire une généralité implicite : le marché libre est la condition pour que tout échange soit gagnant - gagnant.
Dans ce cas, il a raison sur un point : la loi du marché n’est pas un jeu à somme nulle. Lorsque les rapports de force sont équilibrés et les échanges équitables, ils peuvent induire des modes de production durables et un développement socioéconomique soutenable.
Mais à l’inverse, lorsque les rapports de forces sont très déséquilibrés, non seulement l’enrichissement de l’un se fait par l’exploitation et l’appauvrissement de l’autre, mais la somme des destructions commises (humaines, sociales et environnementales) en fait un jeu à somme très négative, à court, moyen et long terme, certains impacts humains et environnementaux étant même irréversibles.
► Les tours de passe-passe idéologique de la doctrine néolibérale
Dans le documentaire vidéo suivant, le discours de Milton Friedman en est l’illustration :
Cliquer : | |
« Milton Friedman, sur l’intérêt personnel et la course au profit » |
● « La liberté dont jouissent les individus les rendent responsables de leurs choix. L’État n’a donc pas a se mêler de couvrir les risques découlant des choix des individus. » C’est le cœur de la pensée néolibérale qui voit en chaque individu un “homo œconomicus”, c’est à dire une personne parfaitement informée et agissant rationnellement, en toute connaissance de cause. Donc totalement responsable de ses choix et de ses actes.
● Or la réalité économique dément largement cette fiction, tout particulièrement dans le cadre de la mondialisation : elle n’a cessé de brouiller les cartes, et d’opacifier les filières de production et de distribution des produits, comme celles de circulation des capitaux. Elle s’évertue à dissimuler aux consommateurs les conditions sociales et environnementales de production. Elle lui permet de moins en moins de prendre en compte ces facteurs et donc d’être un consommateur responsable, dans son propre intérêt comme dans l’intérêt du plus grand nombre.
C’est pourquoi la critique du dogme néolibéral trompeur de liberté d’entreprise et de responsabilité est à l’origine de la formule bien connue :
« Le libéralisme, c’est le renard libre dans le libre poulailler… »
… que l’on devrait à l’homme politique allemand August Bebel, et non à son contemporain français Jean Jaurès, ou à Karl Marx lui-même.
► Un terreau historique et culturel favorable au néolibéralisme
Milton Friedman, en gourou nobellisé du néolibéralisme, n’a fait que modéliser une pensée déjà profondément enracinée dans la culture américaine de la liberté d’entreprise, elle-même héritée de l’esprit de conquête des pionniers européens qui s’affranchirent de la couronne britannique pour mieux réaliser le rêve américain de réussite et d’enrichissement personnel, libre des jougs étatiques ancestraux.
Beaucoup de Français connaissent la déclaration adressée par le Président américain Abraham LINCOLN au Congrès des États-Unis d’Amérique en 1860. Cette ode libérale peut a priori sembler être frappée au coin du bon sens. Mais a priori seulement, dans un monde parfait, ou chaque agent économique se comporterait en citoyen vertueux et auto-discipliné, n’outrepassant pas les droits constitutifs de sa liberté au détriment des droits et libertés d’autrui…
Or dans la vraie vie, cet être parfait est loin d’être représentatif du genre humain. Sans loi ni régulation apte à canaliser ses excès, les rapports de forces qui se mettent en place sont ceux des sociétés les plus violentes du fait du niveau d’injustice insoutenable qu’elles atteignent.
La contrepartie manquante de la déclaration de Lincoln aurait dû être :
« Vous ne pouvez pas maintenir la cohésion des sociétés et la paix dans le monde, en laissant les forts exploiter les faibles, en laissant l’économie anéantir les populations les plus vulnérables et détruire l’environnement. »
Abraham LINCOLN
(Déclaration au Congrès des USA, 1860)
1- Vous ne pouvez pas créer la prospérité en décourageant l’épargne.
2- Vous ne pouvez pas donner la force au faible en affaiblissant le fort.
3- Vous ne pouvez pas aider le salarié en anéantissant l’employeur.
4- Vous ne pouvez pas encourager la fraternité humaine en encourageant la lutte des classes.
5- Vous ne pouvez pas aider le pauvre en ruinant le riche.
6- Vous ne pouvez pas éviter les ennuis en dépensant plus que vous gagnez.
7- Vous ne pouvez pas forcer le caractère et le courage en décourageant l’initiative et l’indépendance.
8- Vous ne pouvez pas aider les hommes continuellement en faisant à leur place ce qu’ils devraient faire eux-mêmes.
Or il n’est de balance juste sans double plateau,
ou contrepoids correctement calibré :
Contrepartie nécessaire
à la déclaration de Lincoln
(mais malheureusement absente)
1- Vous ne pouvez pas enraciner la prospérité née du vent de la spéculation financière.
2- Vous ne pouvez pas indéfiniment permettre au fort de profiter de la vulnérabilité du faible.
3- Vous ne pouvez pas aider le salarié en permettant son exploitation par l’employeur.
4- Vous ne pouvez pas encourager la fraternité humaine en ignorant ou permettant l’injustice socioéconomique (quart-monde et tiers-monde).
5- Vous ne pouvez pas permettre au riche de s’enrichir indéfiniment de l’exploitation du pauvre.
6- Vous ne pouvez pas “éviter les ennuis” en gagnant moins qu’il est nécessaire pour vivre dans la dignité.
7- Vous ne pouvez pas forcer le caractère et le courage de tous sans vous soucier des conséquences négatives résultant d’un excès de liberté de certains, au seul nom de l’initiative et de l’indépendance.
8- Vous ne pouvez continuellement enjoindre aux Hommes de faire par eux-mêmes ce à quoi ils aspirent, en laissant certains compromettre leurs moyens d’y parvenir (injonctions paradoxales).
✵
Voir sur Slate.fr cette excellente analyse des dogmes néolibéraux :
(de John Quiggin - Traduit par Jean-Clément Nau - publié le 03.11.2010)
« L’économie-zombie. Comment des idées mortes continuent de circuler parmi nous. »
►►►►►►►►►►►● L’idée-zombie n°1 : « La grande modération »
►►►►►►►►►►►● L’idée-zombie n°2 : « L’hypothèse des marchés efficients »
►►►►►►►►►►►● L’idée-zombie n°3 : « L’équilibre général dynamique et stochastique »
►►►►►►►►►►►● L’idée-zombie n°4 : « L’hypothèse du ruissellement »
►►►►►►►►►►►● L’idée-zombie n°5 : « La privatisation »
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« 5 “idées-zombies” qui refusent de mourir » | ►►►►►►► |
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►►►M.K. Gandhi et Jawaharlal Nehru | ►►►M.K. Gandhi et Muhammad Ali Jinnah |
Le constat d’un néocolonialisme planétaire, celui non plus d’un État dominant un ou plusieurs autres, mais d’une pensée élitiste dominante privant les peuples de leur droit fondamental à l’autodétermination, devrait nous convaincre d’une priorité : stopper l’hémorragie économique qui nous affaiblit de jour en jour, en traitant ses véritables causes afin de parvenir à remédier durablement à ses conséquences.
(lire la suite…)
Voir également notre page :
« Mondialisations : un rapide historique… de 2 millions d’années »
(dernier § : « Colonialisme passé et mondialisation contemporaine. »)
● Alors que nous abordons certainement un virage majeur, celui de la transition :
→ de l’ère industrielle qui a duré deux siècles,
→ à une nouvelle ère porteuse d’enjeux vitaux pour l’humanité…
● Nous nous demanderons ensuite : en quoi une philosophie gandhienne serait-elle ou non transposable à notre problématique contemporaine ?
Mais commençons par nous remémorer le déroulement du processus qui aboutit à l’indépendance de l’Inde en 1947, la chronologie des évènements et ses principaux acteurs :
Cliquer : | |
« L’indépendance de l’Inde en 1947 » (un rappel du contexte - Xavier - Visions de l’Inde) |
M.K. Gandhi avec Lord et Lady Mountbatten en 1947
► Gandhi : de l’image que nous en avons, à sa réalité historique
● L’image universelle du “Mahatma Gandhi” est surtout celle de sa vie publique telle que l’ont gravée pour la postérité les médias de l’époque :
→ celle d’une sorte de saint civil, porté par une foi humaniste et écologique,
→ incarnant à lui seul l’âme des peuples en lutte pour leur liberté, comme
→ de ceux en quête de sens.
● Et surtout, ce qui le distingue de la plupart des combattants ayant marqué notre inconscient collectif :
→ point d’armes ni d’armées, mais une détermination altruiste sans faille.
● Une stratégie paradoxale, à contre-courant des mœurs politiques dominantes :
→ opposer à la force physique et à la violence, une résistance passive fondée
→ sur la non-violence et la force politique de ses grèves de la faim.
Les photos en noir et blanc et les films d’archives nous montrent un homme âgé, d’apparence fragile, vêtu avec la simplicité du renonçant, de tissu blanc sans couture, selon les codes traditionnels d’une Inde intemporelle. | |
Ses lunettes rondes symbolisent pour la postérité l’intellectuel qu’il était. ► Mais ce ne fut pas tant son stylo ni même sa parole d’avocat que le bâton soutenant ses pas, qu’il opposa avec le plus d’efficacité au sceptre de la couronne britannique alors représentée par un vice-roi des Indes. | |
Ce bâton, tout en soulignant sa fragilité, demeure le symbole du pouvoir en mouvement de cet inlassable marcheur, non celui d’un pèlerin sur les traces du passé, mais d’une sorte de berger sacré, éclaireur d’une fraternité citoyenne qui, pas à pas, ouvrait non seulement la voie à une Inde nouvelle, mais invitait aussi ailleurs à la libération de toute une humanité exploitée. | |
Pourtant, les Indiens se souviennent aussi avec amusement combien son opiniâtre simplicité pouvait parfois compliquer la vie de son entourage, notamment lorsqu’il fallait embarquer des chèvres dans les trains de ses campagnes d’opinion, afin de procurer au saint homme pendant toute la durée du périple, le simple lait dont il se sustentait… |
● Sa conception du satyagraha, la force de la vérité, légitime la désobéissance civile et la résistance à l’autorité injuste par la non-violence.
Gandhi pendant la Marche du Sel, mars 1930
« La marche du sel »
un court mais émouvant film documentaire de 1930
Cliquer sur la photo pour le visionner :
Elle inspirera par la suite bien d’autres combats non-violents dans le monde, notamment ceux de :
→ Martin Luther King Jr. aux États-Unis, pour les droits civiques des Afro-Américains.
Le Lincoln Memorial à Washington, le 28 août 1963
où convergea la Marche vers Washington pour le travail et la liberté
Martin Luther King y fit son discours historique « I Have a Dream » (Je fais un rêve).
→ Nelson Mandela en Afrique-du-Sud, contre l’apartheid.
Sa biographie résumée : cliquer
Nelson Mandela
(1918 - 2013)
Prix Nobel de la Paix 1993
Sa démarche fut inspiré à la fois par le satyagraha de Gandhi et par la philosophie humaniste africaine du Unbutu, hérité de sa propre culture.
Cliquer : | |
« Ubuntu » expliqué par Nelson Mandela |
→ Le 14e Dalaï-Lama, Prix Nobel de la Paix 1989, incarne encore aujourd’hui
→ la résistance du peuple tibétain à l’occupation chinoise,
→ en vue de l’établissement de la démocratie au Tibet.
Kathmandu (Népal), août 2008
Soutien à la « marche de retour au Tibet »
Cliquer : | |
« Le Tibet se meurt » (Reportage exclusif France 24 du 20.05.2013) |
● Gandhi incarne-t-il à lui seul la résistance à l’occupation britannique ?
Loin de là. D’ailleurs, il eut à faire face à de nombreux désaccords au sein de son propre parti, le Congrès national indien. La non-violence que les occidentaux ont un peu trop tendance à associer à la culture indienne, est bien loin de la caractériser. Aujourd’hui encore, le terrorisme sévit régulièrement dans le sous-continent, et après le Mahatma Gandhi, deux premiers ministres ont été assassinés : Indira Gandhi (sans lien de parenté avec le Mahatma, fille de Jawaharlal Nehru, le premier dirigeant de l’Inde indépendante) et son fils qui lui avait succédé à la tête du gouvernement, Rajiv Gandhi. D’où une légende de la malédiction des Gandhi en Inde, comme celle des Kennedy aux États-Unis…
● D’autres personnages ont joué un rôle majeur dans le déroulement du processus.
Ce fut le cas de :
→ Jawaharlal Nehru, proche du Mahatma Gandhi, mais très différent de lui.
Bien qu’appartenant à la caste religieuse hindoue des Brahmanes (la plus élevée dans la hiérarchie du système de castes), il était athée et partisan d’une Inde moderne intégrant la communauté internationale, sans les préventions que le vieux sage nourrissait à l’égard de la “civilisation occidentale”. Membre du Congrès comme Gandhi, il partageait dans une certaine mesure sa vison sociale du rôle de l’économie. | |
►►Jawaharlal Nehru ►►►(1889 - 1964) |
→ Jinnah, également membre du parti du Congrès.
Il fut aussi le chef de la Ligue musulmane de 1913 jusqu’à la création du Pakistan le 14 août 1947, dont il devint le premier président de l’Assemblée Nationale. Membre éminent du Congrès National indien auquel appartenaient également Gandhi et Nehru, il fut d’abord partisan de l’unité hindoue-musulmane. | |
►►►Muhammad Ali Jinnah ►►►►►(1876 - 1948) |
Mais n’adhérant pas à l’approche non-violente du Satyagraha de Gandhi, il quitta le Congrès en 1920. Il milita à partir de 1940 pour la partition hindoue-musulmane qui conduisit en 1947 à la création de la République Islamique du Pakistan.
→ Bhimrao Ramji Ambedkar, le père de la constitution indienne.
Cliquer : | |
« Ambedkar ou la critique de la société de castes » ►►► ►►► (par Jules Naudet - La Vie Des Idées.fr) |
En affirmant :
« Ma philosophie sociale se trouve positivement résumée par trois mots :
liberté, égalité, fraternité »
il précisait qu’il ne faisait pas référence à la Révolution Française, mais aux préceptes du bouddhisme…
Bhimrao Ramji Ambedkar
(1891 - 1956)
Sa vie est en soi un roman :
Issu d’une communauté intouchable, il devint économiste et brillant juriste, historien érudit et fin politique. Il s’opposa à Gandhi car il estimait sa démarche de défense des Harijans insuffisante.
En effet, si Gandhi se battait pour faire abolir l’intouchabilité découlant des Lois de Manu (prononcer “Manou”), il ne remettait pas en cause la subdivision sociale déterminée par la naissance, telle que définie par les principes fondateurs de la religion hindoue elle-même (système de castes).
Cliquer : | |
« MÂNAVA DHARMA ÇÂSTRA - LOIS DE MANOU » ►►► (Traduites du SANSKRIT par G. STREHLY) | |
« LIVRE DIXIEME - Castes mêlées - Occupations des castes - Temps de détresse » |
♦ Ambedkar fut celui qui, en intégrant à la constitution de la République Indienne le principe d’égalité en droit de tous les citoyens, invalida de fait le système indien de castes vieux de 3000 à 3500 ans…
Mais cela ne revenait pas à extirper des esprits individuellement comme de l’inconscient collectif, que Gandhi définissait comme l’âme indienne, ses fondements religieux. Ce que les occidentaux dénomment “système de castes”, est pour tout hindou croyant la structure moléculaire intime de son univers, de nature divine. Aucune loi humaine ne saurait donc le défaire. S’y risquer ne peut que conduire au chaos.
Considérant que les plus grands handicaps de sa société étaient donc d’ordre culturel, et qu’il fallait que les opprimés se libèrent d’abord dans leur esprit et à leurs propres yeux, il analysa différents systèmes philosophiques et politiques. Après avoir étudié de très près le marxisme et sa mise en œuvre, ou prétendue telle, dans l’URSS de Staline, il parvint comme Gandhi à la conclusion que la contrainte politique et la violence institutionnelle ne pouvaient libérer les consciences.
Il choisit la voie d’une transmutation susceptible de s’opérer au niveau des racines spirituelles de l’adhésion populaire au système de croyance hindou.
♦ Le 14 Octobre 1956, il se convertit au bouddhisme (philosophique née en Inde il y a 2600 ans, au cœur de l’hindouisme, invalidant les justifications religieuses du système de castes par l’hindouisme, et professant l’égalité de tous les être humains). Il effectua sa conversion en même temps que plusieurs centaines de milliers de personnes de sa communauté, à Nagpur, haut lieu du bouddhisme historique en Inde. La force du symbole était évidente pour tout le pays, mais ne suffisait pas à faire de cette bouture un nouvel arbre de l’éveil à l’échelle nationale.
Ambedkar ayant étudié le bouddhisme toute sa vie, il tenait l’éducation et l’expérience personnelle comme uniques vecteurs d’affranchissement de tous les jougs, à commencer par celui des traditions. Marchant dans ce domaine sur les traces de l’empereur Ashoka qui avait tenté d’en faire autant avec son peuple 22 siècles plus tôt, il n’ignorait pas que l’Inde alors terre du bouddhisme, avait par la suite été progressivement reconvertie à l’hindouisme…
De même, les nouveaux convertis d’Ambedkar furent simplement considérés par le reste de la population comme des transfuges de l’Hindousime. Ils furent qualifiés de néo-bouddhistes, nouvelle dénomination stigmatisante d’une communauté de hors castes parmi d’autres.
♦ Ambedkar força donc les verrous traditionnels et institutionnels responsables du retard socioéconomique des communautés opprimées pendant des millénaires, en mettant en place un système de discrimination positive, réservant des places aux basses castes et aux hors castes dans les universités, dans l’administration et les autres organes dont elles étaient exclues.
♦ Par ailleurs, il fonda en 1942 la “Scheduled Castes Federation” (fédération des « castes répertoriées », regroupant en fait les basses castes et les intouchables, ou hors castes) qui donna le jour par la suite à deux partis :
→ le RPI - Republican Party of India (Parti Républicain Indien).
Il se subdivisa en de nombreux courants. D’où sa difficulté à jouer aujourd’hui un rôle de premier plan sur l’échiquier politique indien. |
→ le BSP - Bahujan Samaj Party (Parti de la Société Majoritaire).
Plus récemment, il accéda au pouvoir dans certains États en s’alliant à un parti nationaliste rassemblant surtout des courants représentatifs de hautes castes. |
Le système de discrimination positive (reservations system) que son concepteur avait initialement prévu pour 15 ans, est toujours opérationnel de nos jours.
Car près de 70 ans après l’indépendance, bien qu’invalidé par la constitution indienne, et malgré une indéniable évolution des mœurs, le système de castes est toujours vivace dans les esprits et dans la vie quotidienne de l’Inde moderne…
D’autres partis politiques étaient actifs durant la lutte pour l’indépendance.
Parmi eux :
● Le parti communiste indien vit le jour dans les années 1920. Mais il ne fut guère admis à participer aux négociations avec la couronne britannique.
En revanche, il joua un rôle politique important après l’indépendance, plus particulièrement dans deux États indiens : le Bengale-Occidental et le Kerala.
→ Au Bengale Occidental, dont la capitale Calcutta fut celle du Raj britannique.
Le Parti communiste indien (marxiste) y gouverna pendant 34 ans…
Cet État qui, lors de la partition entre l’Inde et le Pakistan, se vit amputer du territoire devenu l’actuel Bangladesh, a donné le jour à de nombreux intellectuels et artistes, parmi lesquels des indépendantistes très actifs :
♦ Rabindranath Tagore, Prix Nobel de littérature en 1913, particulièrement attaché à l’éducation, avec son ambitieux projet de Santiniketan,
Rabindranath Tagore
(1861 - 1941)
♦ Aurobindo Ghose (dit Sri Aurobindo), un leader du mouvement pour l’indépendance de l’Inde. Mais il s’opposait à la stratégie gandhienne de la non-violence. Il fonda à Pondicherry un âshram qui donna naissance en 1968 au projet expérimental d’Auroville,
Sri Aurobindo Gosh en 1922
(1872 - 1950)
♦ de très grands cinéastes tels que Satyajit Ray et Mrinal Sen, ou le musicien Ravi Shankar,
♦ ou encore l’économiste contemporain Amartya Sen, Prix Nobel d’économie 1998, dont la contribution en matière d’analyse du développement socioéconomique est essentielle (processus et remédiation de la pauvreté, théorie du développement humain, économie du bien-être).
→ Au Kerala, le rôle du parti communiste a été prépondérant depuis sa première accession au pouvoir en 1957.
♦ La structure sociale du Kerala, façade du sous-continent exposée par son commerce aux influences arabes et occidentales depuis l’Antiquité, est très différente de celle des autres États. Alors que l’Inde compte environ 80% d’Hindous, le Kerala rassemble 25% de Musulmans et 20% de Chrétiens. L’impact de la structure de castes y est donc moins fort. Et l’effort consacré par cet État à l’éducation et à la justice sociale, aboutit à une espérance de vie et un taux d’alphabétisation très supérieurs à la moyenne nationale.
♦ Mais le Kerala est également connu pour ses arts traditionnels dans le domaine de la santé (ayurveda), danse (kathakali), ou ses écrivains contemporains : Anita Nair, Arundhati Roy, Shashi Tharoor, Vaikom Muhammad Basheer, etc. Son cinéma, moins productif que celui de Mumbai (Bollywood) ou du Tamil Nadu, s’apparente davantage à l’analyse sociale néo-réaliste du cinéma bengali.
● A l’autre bout du spectre politique, le RSS - Rashtriya Swayamsevak Sangh (organisation patriotique nationale) fondé en 1925, est un groupe hindouiste ultranationaliste, recourant à l’embrigadement paramilitaire et à la violence. Il mit à plusieurs reprises le feu aux poudres et déclencha des affrontements sanglants entre hindous et musulmans.
L’assassin du Mahatma Gandhi était issu de ses rangs.
► L’origine de la vision politique, sociale et économique des indépendantistes
● L’indépendantisme des combattants indiens de la liberté (les “freedom fighters”) plonge ses racines dans plusieurs siècles de colonialisme européen (Portugais, Hollandais, Français, Anglais). Le plus profondément ancré et interventionniste a bien sûr été celui de la couronne britannique.
● Autre point commun : Ambedkar, Gandhi, Jinnah, Nehru, Sri Aurobindo, Tagore, tous ont fait leurs études universitaires en Angleterre. Tous étaient avocats ou ont fait des études de droit. Leurs acquis académiques leur confèrent une connaissance intime du système administratif et institutionnel de leur occupant. Ils bénéficient d’une double culture, contrairement à la plupart des colons que leur sentiment de supériorité empêche de comprendre de l’intérieur, la culture qu’ils pensent dominer. De plus, une particularité de l’hindouisme consiste dans sa faible adhérence aux apports extérieurs, à l’image du lotus sur lequel la poussière glisse sans se déposer…
● En revanche, ce qui les différencie le plus, c’est leur appartenance sociale. Nehru, Sri Aurobindo, Tagore sont issue de riches familles de hautes castes.
Gandhi appartient à une famille de commerçants, de caste intermédiaire, mais surtout a grandi au contact de la communauté Jaïn, poussant la non-violence à l’extrême, si l’on peut dire…
Jinnah est né dans une famille de commerçants musulmans aisés.
Seul Ambedkar cumulait les handicaps, du fait de son appartenance à une communauté intouchable, et né dans une famille pauvre. Nul n’aurait jamais entendu parler de lui, s’il n’avait pu aller à l’école (comme c’était le cas de la plupart des enfants intouchables à son époque) ni bénéficié d’une bourse d’études.
● Enfin, un point commun de l’expérience de vie de Gandhi et d’Ambedkar a été déterminante pour forger leur détermination : l’un et l’autre ont connu une humiliation liée à leur origine.
Pour Ambedkar, c’est à son retour en Inde en 1922, après avoir obtenu ses diplômes universitaires d’économie et de droit (il fit ses études aux États-Unis en Angleterre), qu’il comprit que sa communauté serait éternellement victime de l’apartheid inter-castes.
Pour Gandhi (né en 1869), c’est dès son arrivée en Afrique-du-Sud en 1893 qu’il fut victime de l’apartheid, comme toute personne de couleur. Il décida alors de mettre son métier d’avocat au service de la lutte contre la discrimination.
Mais c’est l’origine de sa vision socioéconomique qui est sans doute la plus étonnante. Elle résulte d’une véritable révélation qu’il eut en 1904, durant un voyage de 24 heures en train entre Johannesburg et Durban, à la lecture d’un livre offert par un ami. Il s’agissait de « Jusqu’au Dernier » (“Unto This Last”), de John Ruskin.
Je crois que ce livre immense de Ruskin me renvoya alors, comme un miroir, certaines de mes convictions les plus profondes ; d’où la grande séduction qu’il exerça sur moi et la métamorphose qu’il causa dans ma vie.
(…)
Voici, tels qu’ils m’apparurent, les trois enseignements de cet ouvrage :
1. Que le meilleur de l’individu se retrouve dans le meilleur de la collectivité ;
2. Que le travail de l’homme de loi ne vaut ni plus ni moins que celui du barbier, dans la mesure où tout le monde a également droit à gagner sa vie par son travail ;
3. Qu’une vie de labeur – celle du laboureur ou de l’artisan, par exemple – est la seule qui vaille la peine d’être vécue.
Je connaissais le premier de ces préceptes. Du second, j’avais une idée confuse. Le troisième ne m’était jamais venu à l’esprit. Jusqu’au Dernier me montra, clair comme le jour, que le second et le troisième enseignements étaient contenus dans le premier…
Je me levai avec l’aube, prêt à mettre ces principes en pratique.
[ Source : Gandhi - Autobiographie ou mes expériences de vérité (Quatrième partie, chapitre XVIII “La magie d’un livre” - Presses Universitaires de France) ]
Gandhi reformule ainsi les idées de John Ruskin qui avaient également inspiré Jean Jaurès :
« Les capitalistes des temps modernes sont responsables de la large propagation des guerres injustes dont l’avidité de l’humanité est l’origine.
C’est le privilège des poissons, des rats et des loups, de vivre suivant les lois de l’offre et de la demande. Mais c’est la distinction de l’humanité de vivre suivant celles du droit. »
► Gandhi : résister pour réorienter et reconstruire une civilisation sociable
Cliquer : | |
« Le modèle indien d’une économie Swadeshi - À l’opposé de l’autarcie, une alternative pour le monde » |
La philosophie qui inspira toute la démarche de Gandhi, qui eut un rôle déterminant dans l’indépendance acquise par l’Inde en 1947, repose sur six concepts de base :
►►► | |
→ la VÉRITÉ (satya) | |
→ la NON-VIOLENCE (ahimsa) | |
→ le BIEN-ÊTRE DE TOUS (sarvodaya) | |
→ l’INDÉPENDANCE (swaraj) | |
→ l’AUTOSUFFISANCE (swadeshi) | |
→ la DÉSOBÉISSANCE CIVILE (stayagraha) |
Cliquer : | |
« La doctrine éthique et politique de Gandhi » |
1 - Le premier, la Vérité (satya).
● Il conditionne et inspire tous les autres. Cette recherche est à la fois une quête tendant vers l’infini, mais aussi une requête impliquant autant d’exigence envers soi-même qu’envers autrui.
● Chercher à appréhender la nature authentique du réel suppose une visibilité optimale, et donc tout autant l’exigence de la transparence que son acceptation. Car il peut être difficile d’assumer nos propres responsabilités face à la réalité.
2 - La non-violence (ahimsa).
● Gandhi rappelait que le principe « œil pour œil » ne pouvait avoir d’autre effet que de rendre le monde aveugle ! C’est sans doute cette dimension qui marqua le plus les esprits et parvint à déstabiliser le pouvoir alors sans partage, de l’Empire Britannique.
● Mais la notion opposée, la violence, prenant des formes variées, par exemple l’injustice provenant des institutions, la résistance à l’injustice peut également revêtir différentes formes.
● La non-violence de Gandhi ne signifie pas pacifisme, dans la mesure où il admet qu’il est parfois nécessaire de recourir à des actions radicales, et même de tuer, pour sauver la vie du plus grand nombre.
3 - Le bien-être de tous (sarvodaya).
● Cette notion, recoupant celle de l’intérêt général, s’oppose au principe néolibéral justifiant la maximisation du bien-être du plus grand nombre possible d’individus, qui aboutit de fait à celle d’une minorité, au détriment de la satisfaction des besoins vitaux d’une partie de l’humanité…
● Le corolaire néolibéral du ruissellement, selon lequel le surplus d’une minorité profite au plus grand nombre, travestit encore la Vérité. En réalité, le ruissellement se fait non de haut en bas, mais de bas en haut : l’enrichissement des plus riches résultant le plus souvent de l’exploitation des plus pauvres, ou ayant pour conséquence leur privation du minimum vital.
● L’économie doit donc absolument intégrer des conditions d’équité, de justice et de solidarité.
Une critique par Gandhi de l’économie de marché est particulièrement explicite :
4 - L’indépendance (swaraj).
Pour Gandhi, ce concept se décline à différents niveaux, du plus collectif au plus personnel. D’abord, il considère l’État avec beaucoup de défiance : une machine sans âme qui, selon lui, finit trop souvent par ne plus servir les intérêts des citoyens, mais les siens propres. Son expérience des systèmes politiques sous lesquels il avait vécu, des luttes de pouvoir personnel et des méfaits de la corruption, ne lui laissait guère d’illusion.
De ce point de vue, il se rapproche non pas du libertarisme néolibéral d’un Tea Party à l’Américaine, mais plutôt de l’anarchisme non-violent d’un Proudhon : « L’anarchie c’est l’ordre sans le pouvoir ».
Cependant, Gandhi, évidemment conscient qu’il était utopique de prétendre se passer d’État, estimait qu’il fallait d’une part éviter sa centralisation excessive, et d’autre part ne pas le laisser livré à lui-même : d’où la nécessité d’une éducation citoyenne permanente de la population, contribuant à une forme plus directe de démocratie, permettant de canaliser le fonctionnement étatique (autre forme d’éducation citoyenne permanente, celle de l’État).
Mais il est également vraisemblable que l’anti-étatisme de Gandhi ait surtout eu pour origine un rejet de l’ordre centralisateur imposé à une Inde trop longtemps et douloureusement vassalisée par le colonisateur britannique. N’oublions pas que l’État auquel Gandhi et ses compagnons de la lutte indépendantiste indienne, les freedom fighters, était confrontés depuis leur naissance, était le Raj sous occupation britannique, qui s’évertua à diviser la société indienne pour mieux régner sur elle.
Non seulement il divisa le Bengale en deux afin de mieux opposer Hindous et Musulmans, mais cette politique fit le lit lors de l’indépendance de l’Inde (15 août 1947) de la partition entre l’Inde et le Pakistan (14 août 1947) qui se fit dans un bain de sang.
Or la rivalité entre les deux pays depuis cette scission traumatisante, continue de nos jours au sujet du Cachemire. Elle a été à l’origine de trois guerres et d’un terrorisme chronique qui affecte ces deux États. Mais les conséquences sont également mondiales, dans la mesure où le Pakistan, désireux d’annexer l’Afghanistan, soutient les Talibans dans leur (re)conquête du pouvoir à Kaboul.
Donc, ce que Gandhi rejetait dans la notion d’État n’était pas son pouvoir en tant que tel, mais sa capacité d’en faire mauvais usage, au détriment des plus vulnérables, dont il est censé défendre les intérêts.
D’où la double stratégie qu’il développa, associant résistance à l’État et reconstruction (à travers des actions sociales volontaires et participatives.
5 - L’autosuffisance (swadeshi).
Ce concept également se décline à différents niveaux. Nous dirions aujourd’hui qu’il se rapproche de la philosophie de l’objection de croissance (terme moins ambigu que celui de décroissance, souvent mal compris), ou de simplicité volontaire. Comme il existe une agriculture raisonnée, par opposition à une agrochimie orientée vers le dopage du potentiel naturel de la terre à des fins de rendements croissants et de réduction des coûts de production, c’est notre mode de vie comme notre économie qui doivent être raisonnés, afin de ne pas laisser nos besoins excéder notre capacité de les satisfaire.
Cette notion se double d’une philosophie existentielle basée sur d’autres valeurs que celles strictement matérielles d’une civilisation productiviste et consumériste.
Elle intègre :
→ la valorisation des cultures et de la langue,
→ celle du lien social,
→ privilégiant également les dimensions humaines sur la démesure,
→ qu’il s’agisse d’entreprises (artisanat et agriculture diversifiée, plutôt
→ que grandes industries et agriculture intensive) ou d’implantation
→ humaine (villages et petites villes, plutôt que mégalopoles).
L’autre dimension de cette démarche, plus organisationnelle, considère que la priorité doit être donnée par chaque population à son propre territoire et à ses capacités d’autogestion : produire localement, pour répondre à la consommation locale.
Ce principe est essentiel car l’autonomie libère, et évite de donner prise à l’exploitation d’une population par une autre ou par des forces économiques extérieures aux communautés locales (acteurs économiques privés ou même publics).
Gandhi, le combattant pacifique pour la libération de son territoire et de son peuple, serait sans aucun doute taxé aujourd’hui de « réactionnaire » par les tenants de la mondialisation néolibérale, et de « bolchévique », par ceux d’un nationalisme anti-social.
6 - Le pouvoir de la vérité en Sanskrit (Satyâgraha)
….. à l’origine du recours à la désobéissance civile.
Le Satyagraha (du Sanskrit सत्याग्रह) ou « étreinte de la vérité » (satya = vérité, āgraha = saisie) est le principe de résistance non-violente par la désobéissance civile.
« Le principe appelé Satyagraha a vu le jour avant même que ce nom ait été inventé. En effet lorsqu’il est né, je n’aurais moi-même pas été capable de dire en quoi il consistait. En Gujarati aussi, nous avons utilisé l’expression anglaise “ résistance passive ” pour le décrire. Lorsque, dans une réunion d’Européens, j’ai découvert que le terme “ résistance passive ” était interprété trop étroitement, comme une arme des faibles, susceptible d’être caractérisée par la haine, et qu’elle pourrait enfin se manifester par la violence, j’ai dû me distancier de telles déclarations et expliquer la nature réelle du mouvement indien. Il était clair qu’un nouveau mot devait être inventé par les Indiens pour désigner leur lutte. »
Mohandas K. Gandhi (“An Autobiography or The Story of my Experiments with Truth” Part IV : The Birth of Satyagraha)
✵
En quoi une philosophie gandhienne serait-elle ou non transposable à notre problématique contemporaine ?
Il se pourrait que non seulement les similitudes, mais aussi les différences entre le contexte colonial de l’Inde de Gandhi et celui de la mondialisation économique des 30 dernières années, nous aident à éclairer cette question.
Par ailleurs, d’autres courants issus du même creuset culturel nous aideraient-ils à désenclaver la pensée économique de son géocentrisme occidental ?
(lire la suite…)
► La philosophie Gandhienne à l’épreuve des enjeux contemporains
● La dimension historique de l’engagement indépendantiste de Gandhi et des autres “Freedom Fighters” indiens est sans doute la moins transposable à la problématique actuelle de la mondialisation. Quoi que… La perte de souveraineté des États soumis à la loi des marchés délocalisés n’est pas sans rapports avec le colonialisme britannique dont l’Inde réussit à se libérer.
● Le rejet radical par Gandhi du progrès et surtout de la logique industrielle peut par bien des aspects faire écho à différents volets de la crise du capitalisme contemporaine, de nature systémique.
Par exemple :
→ l’impact environnemental des précédentes révolutions industrielles s’avère
→ catastrophique (pollutions, biodiversité, santé des populations - on est
→ loin d’en avoir pris toute la mesure -, climat, etc.)
→ la course à la productivité et au profit a laissé sur le carreau les millions
→ de travailleurs surnuméraires qui, rejetés du système consumériste,
→ aggravent bien malgré eux le déphasage global entre capacité de production
→ et capacité de consommation,
→ l’urbanisation des territoires et des sociétés, et l’effondrement des
→ effectifs agricoles, vont de paire avec un recul de l’autonomie des
→ individus, de leur capacité à survivre par leurs propres moyens ;
→ avec, entre autres conséquences, leur dépendance croissante à l’égard des
→ politiques et des institutions publiques, comme des entreprises privées.
● Gandhi dénonce effectivement la transformation déshumanisante des rapports sociaux que le progrès technique et l’industrialisation entraînent.
Rabindranath Tagore et Gandhi in 1940
Rabindranath Tagore déplorait également :
« Ah! L’Europe et ses usines, le Moloch de sa civilisation. Vous, les Européens, vous êtes chacun une usine. (…) je ne suis qu’un poète, mais un poète indien. Je ne puis vous fournir ni système ni explications. Mais je peux vous dire une chose que les philosophes ne sauront pas vous dire : comment vivre, comment vous opposer à la mort, au tarissement, au dogmatisme, au définitif, à la rigidité de l’esprit. Autant d’aspects de la mort, et de la pire : la mort de l’intelligence et de la vie intérieure.
Vous croyez que la vérité est toujours solennelle, la joie frivole, la danse et la musique incompatibles avec une éducation scientifique. Erreurs puritaines, encore vivaces malgré la disparition du puritanisme. Pour moi, tous ces aspects s’intègrent l’un dans l’autre, car chacun exprime le rythme et la joie de la vie. »
Propos de Rabindranath Tagore,
recueillis en 1930 par Mircea Eliade
(“L’Inde”, Presses Pocket)
Gandhi avec des ouvrières du textile à Darwen,
Lancashire, Angleterre, le 26 septembre 1931.
● En matière d’économie politique, Gandhi avait parfaitement compris le processus de domination consistant à organiser la manipulation économique d’un territoire et de sa population contre d’autres. Au Royaume-Uni, les ouvriers étaient victimes de la mécanisation de la production. En Inde, tout l’artisanat du secteur textile était détruit par les importations britanniques. Les seuls vrais gagnants de ce processus étaient les industriels et les négociants de la puissance colonisatrice.
● Mais le fait que cette modernisation fût imposée à l’Inde éternelle par un “alien” culturel occidental, en l’occurrence la couronne britannique, n’est certainement pas sans relation avec ce rejet radical. Gandhi exprimait symboliquement ce sentiment de pollution morale en secouant ses sandales avant d’embarquer dans l’avion le ramenant d’Angleterre en Inde. Il souhaitait faire clairement comprendre à ses compatriotes le danger que représentait pour eux leur contamination de l’Inde par une civilisation qui ne respectait pas sa culture et ne tenait pas compte de ses aspirations.
● Car pour lui, il ne s’agissait certainement pas que d’un acte symbolique et révolutionnaire de déclaration d’indépendance à l’égard de l’occupant britannique. Cette aspiration autonomiste visait d’abord à renouer avec un mode de fonctionnement économique garant d’un ordre social immuable, et de la pérennité de valeurs morales hérité de sa culture religieuse.
● C’est ainsi que son refus de remettre en question le fondement religieux hindou du système de castes lui valut de solides opposants parmi d’autres indépendantistes indiens, notamment le Parti Communiste indien, ainsi que le futur père de la constitution de la jeune République Indienne, après l’indépendance du pays, Bhimrao Ramji Ambedkar (question traitée ci-dessous au paragraphe consacré à ce grand personnage, trop méconnu en dehors de l’Inde).
● Pourtant, Gandhi se réclamait dans le même temps d’influences philosophiques, religieuses et laïques, extérieures à sa propre culture : Jésus, Tolstoï, Ruskin, etc. Et il insistait constamment sur son sentiment d’appartenance à une famille unique, l’humanité. De ce point de vue, il était l’incarnation non pas d’un repli identitaire ostraciste, mais d’un altermondialisme intemporel, éminemment fraternel.
● Le philosophe Lanza del Vasto, partit en Inde à la rencontre de Gandhi en 1936. De retour en France, il créa à partir de 1948 les Communautés de l’Arche sur le modèle de l’ashram gandhien.
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Site Internet de la « Communauté de l’Arche » présente sur plusieurs continents (Europe, Amérique latine, Canada…) |
● Toujours est-il que nous retrouvons certainement les racines idéologiques de son rejet fondamental du progrès technique dans certains mouvements contemporains partisans de la décroissance, au-delà des justifications écologiques objectives de remise en cause de la croissance économique.
● Or il est difficilement imaginable de prêcher aujourd’hui, comme le fit Gandhi en son temps, le devoir pour chaque individu d’assurer son autonomie et de mériter son pain par son labeur, en prenant cette expression au pied de la lettre : c’est-à-dire de cultiver soi-même un lopin de terre, de traire ses chèvres et tisser ses vêtements… Ne serait-ce que pour des raisons démographiques : à la mort de Gandhi, la population humaine mondiale était d’environ 2 milliards et demi. Elle compte plus de 7 milliards de bouches à nourrir à présent, et bien qu’elle ne soit plus exponentielle, sa courbe demeure nettement ascendante.
● Un remembrement planétaire répondant à cet idéal gandhien n’est évidemment pas envisageable. Même si parmi les enjeux actuels de la mondialisation, la stratégie d’accaparement des terres et des ressources agricoles sur tous les continents, par certains États et par des spéculateurs privés, est tout-à-fait préoccupante. Rendant la lutte des “Sans-Terre” au Brésil comme en Inde et ailleurs particulièrement légitime.
Paris – Juin 1999
La “Caravane Verte” rapproche les continents contre le mondialisation agroalimentaire :
Militants français, paysans sans-terre indiens et latino-américains
anti-OGM et agrochimie, partisans d’une agriculture biologique
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● Les enjeux actuels liés à la bio-ingénierie et en particulier au génie génétique appliqué à l’agriculture portent non seulement sur ses conséquences sanitaires à long terme, pour lesquelles nous n’avons pas un recul suffisant, mais aussi et à beaucoup plus court terme sur la confiscation par les firmes multinationales de ce secteur, de l’autonomie économique des agriculteurs et des droits fondamentaux des populations autochtones : ou “biopraterie”.
Une militante indienne s’est distinguée dans cette résistance à cette conquête économique, cause de milliers de suicides durant les dernières années parmi les petits paysans indiens :
Cette physicienne et philosophe est devenue mondialement célèbre pour l’action qu’elle mène sur le terrain en Inde :
→ afin de redonner aux agriculteurs indiens l’accès aux semences
→ traditionnelles,
→ et de les aider à se (re)convertir à une agriculture biologique.
C’est dans ce but qu’elle a fondé en 1991 l’organisation altermondialiste Navdanya (« 9 graines », nom symbolisant la biodiversité vitale)
L’organisation Navdanya agit pour une agriculture durable et démocratique
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Pour une présentation plus approfondie de cet enjeu,
voir « Graines de Liberté » (Seeds of Freedom)
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Les firmes agrochimiques (essentiellement américaines et européennes) tentent de faire disparaître les semences traditionnelles en les remplaçant par des semences génétiquement modifiées (OGM) de type “terminator” programmées pour ne pas se reproduire, afin d’obliger leurs utilisateurs à verser une rente à vie à leurs concepteurs. Mais ne tenant même pas leur promesses de résistance aux parasites et de rendement, elles ont ruiné un grand nombre de cultivateurs (notamment beaucoup de producteurs de coton).
Leur lutte contre le géant américain Monsanto est devenue un emblème planétaire de cette résistance.
● Quant au rejet de l’État par Gandhi : il est difficile d’imaginer aujourd’hui de venir à bout de l’imposture que le pouvoir des marchés exerce sur les populations du monde entier, sans l’intervention des États. Toutefois, pour que ceux-ci restaurent leur souveraineté afin de se réapproprient leur fonction régulatrice de l’économie, en vue de rétablir ensemble le sens de l’intérêt général et ses règles, il n’est pas exclu que seuls des mouvements citoyens organisés parviennent à les en convaincre…
● Mais pour ce qui concerne chacun de ces 6 principes gandhiens, il est aisé de les transposer dans le contexte d’une problématique contemporaine de Responsabilité Sociétale et Environnementale de l’activité économique et de sa gouvernance politique :
→ la VÉRITÉ (satya) fait parfaitement écho à la nécessité de transparence
→ et de responsabilité économique,
→ la NON-VIOLENCE (ahimsa) devant inspirer tout combat des populations,
→ salariés, chômeurs ou consommateurs, pour plus de justice et d’équité
→ socioéconomique, est également applicable aux pratiques responsables des
→ autres acteurs économiques et politiques (entreprises et gouvernements)
→ le BIEN-ÊTRE DE TOUS (sarvodaya) fait naturellement référence à
→ l’intérêt général, et à sa priorité sur les intérêts particuliers dont il
→ ne représente pas la somme.
→ l’INDÉPENDANCE (swaraj) ne s’oppose pas à l’interdépendance, qui
→ constitue bien une réalité universelle des êtres, des objets et des
→ phénomènes. Mais elle est la condition de la liberté et de la dignité
→ des personnes et des territoires, contrairement à leur assujettissement.
→ Elle suppose un équilibre des forces en présence, et en particulier
→ l’efficacité des institutions en charge de la justice.
→ l’AUTOSUFFISANCE (swadeshi) est la condition de la sécurité vitale et
→ également d’une certaine dignité, aussi bien à l’échelle individuelle que
→ sociale. Elle ne s’oppose pas à la notion d’échanges. Mais elle garantit
→ leur potentiel d’équité.
→ la DÉSOBÉISSANCE CIVILE (stayagraha), dans le contexte d’une
→ résistance à tout pouvoir inique ne garantissant plus l’intérêt général
→ et compromettant les 5 autres principes précités, elle est la stratégie
→ la plus à même de faire dérailler ou tourner à vide la machinerie
→ économique de l’abus de pouvoir et la fabrique politique d’injustice
→ oppressant les peuples… Mais il est essentiel qu’elle respecte le
→ premier principe, celui de la NON-VIOLENCE, afin d’éviter l’engrenage
→ d’une violence rapidement incontrôlable.
L’association française
« Gandhi International » …
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… s’est donnée pour mission la mise en action de la pensée gandhienne en France, en réaction au contexte actuel de le mondialisation néolibérale.
● Dans le cadre de la mondialisation mercantile qui affecte actuellement la majorité des populations de la planète, l’identification des secteurs, des filières, des organisations et des pratiques les plus délétères, et le boycott massif des produits et des services qui en émanent, auraient sans nul doute un effet dévastateur sur leurs promoteurs qui en bénéficient de manière abusive, au détriment du plus grand nombre.
● Encore faudrait-il que les consommateurs prennent conscience des enjeux et des mécanismes à l’œuvre. Éveil relevant de l’insurrection des consciences, concept popularisé en France par Pierre Rabhi.
► Économie bouddhiste
● Chaque religion comporte des points problématiques, en partie responsables des impacts négatifs des comportements humains sur leur environnement ou envers d’autres individus et groupes sociaux :
→ La plupart ont prôné l’inégalité des individus en droit, en fonction de
→ leur naissance, de leur sexe, ou de leur orientation sexuelle.
→ Certaines ont même justifié l’esclavage.
→ Bien peu se sont opposées à la chosification et à la mercantilisation de
→ la nature, jusqu’à sa dégradation irréversible, sans aucun état d’âme.
● Mais leurs paradoxes sont nombreux, et une même religion peut également recéler des clés de résolution de ses propres aberrations, au-delà de ses dogmes voire en contradiction avec eux, grâce à certains des concepts qui leur sont généralement communs, tels que la compassion ou la fraternité.
● Mais peu de courants religieux ont formulé des principes de responsabilité individuelle et collective de manière aussi méthodique et rationnelle que l’enseignement bouddhique vieux de 25 siècles, qui initialement n’était précisément pas une religion mais bien une philosophie et une éthique de vie.
Cet aspect explique l’intérêt que lui prêtent actuellement nombre de scientifiques, notamment à la pratique de la méditation, dans le cadre de la recherche des neurosciences étudiant l’impact du mode de vie sur le cerveau et sur l’état psychique.
● Cette philosophie existentielle repose sur 5 piliers :
→ Les « quatre nobles vérités » traitent de la souffrance humaine (son constat,
→ ses causes, la conscience qu’il est possible de s’en libérer, et le moyen
→ d’y parvenir)
→ Le « noble sentier octuple », ou « Voie du milieu » décrit le parcours
→ conduisant à la cessation de la souffrance.
Cette « Voie du milieu » consiste à éviter deux extrêmes :
→ d’une part, une recherche matérialiste irraisonnée du plaisir, adictive
→ et aliénante par essence,
→ d’autre part la recherche de la libération par un ascétisme excessif et stérile.
● Si, contrairement au confucianisme, le bouddhisme n’a jamais prétendu avoir vocation à devenir un système politique, il est aisé de percevoir dans le concept de « Voie du milieu » une réponse possible aux problématiques la crise économique systémique que nous subissons depuis plusieurs décennies :
→ la crise d’un système mercantile et consumériste, excessivement
→ matérialiste et individualiste, basé sur une fuite en avant insoutenable
→ du binôme production / consommation,
→ des excès réactionnaires mortifiants et mortifères pouvant revêtir des
→ formes diverses, parfois même antagonistes, allant de politiques de rigueur
→ faisant payer aux populations l’ardoise laissée à leur charge par les
→ spéculateurs irresponsables, aux aspirations de mouvements identitaires
→ appelant au rejet de tout ce qui leur est extérieur, y compris à la
→ stigmatisation ostraciste de leur semblable humain…
● Mais c’est le cinquième point du « noble sentier octuple » qui intègre par définition le principe et les conditions d’une gouvernance économique responsable :
« moyens d’existence justes »
Confirmé et précisé par différents volets des enseignements bouddhiques, la notion de moyens d’existence justes recouvre aussi bien :
→ la responsabilité sociétale et environnementale des acteurs économiques,
→ que les valeurs philosophiques sur lesquelles asseoir la valeur économique,
→ les conditions dont dépend la dignité humaine,
→ les droits et les devoirs des individus les uns envers les autres,
→ le principe central de compassion non seulement à l’égard de nos semblables
→ humains, mais également envers tous les êtres vivants sensibles
→ (susceptibles d’éprouver de la souffrance),
→ et enfin, contrairement à la plupart des religions, un respect profond de
→ la nature, que le bouddhisme partage avec les traditions animistes, les plus
→ menacées de disparition par les destructions environnementales provoquées → actuellement par la frénésie cupide de mondialisation économique.
● Les points communs de la vision bouddhique avec la philosophie de Gandhi sont évidents : non-violence, frugalité, respect d’autrui et respect de la nature. Ce qui est d’autant moins étonnant que l’éducation de Gandhi avait été fortement influencée par le Jaïnisme, tradition régionale diffusée par les enseignements du maître spirituel indien Mahāvīra, contemporain du Bouddha.
S’il est difficile de prétendre que la pensée de Gandhi trouve des prolongements contemporains évidents en Occident, il est vrai que l’écologie politique puise aux mêmes sources universelles que lui, et représente actuellement à travers le monde l’expression la plus proche de la philosophie bouddhique.
La théorie keynésienne résulte avant tout du mode de pensée d’une personnalité particulièrement remarquable, le britannique John Maynard Keynes.
Pur produit du foisonnement intellectuel de Cambridge, université sans doute moins conservatrice qu’Oxford, c’est à la fois son éclectisme et ses qualités intuitives qui confèrent à Keynes sa créativité et ses capacités de synthèse. Virtuose de la pensée complexe, il l’applique à l’économie dans son approche macroéconomique moderne qu’il oppose aux mécanismes artificiels et simplificateurs de l’analyse microéconomique néoclassique.
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Alternatives Economiques - avril 2007 : « Keynes, le critique du laisser-faire » |
Son ouvrage majeur paraît en 1936 :
« Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie »
(The General Theory of Employment, Interest and Money)
John Maynard Keynes
(1883 - 1946)
(lire la suite…)
En contestant les dogmes néoclassiques
→ de l’équilibre automatique des marchés,
→ de la concurrence pure et parfaite,
→ et de la priorité donnée à l’équilibre budgétaire,
Keynes justifie la gouvernance économique de l’État et son interventionnisme, notamment dans le cadre normal de politiques de redistribution, et plus ponctuel de politiques de relance.
► Une personnalité riche de sa complexité.
● Très tôt, John Maynard Keynes se montre particulièrement doué en mathématiques, mais également ouvert à bien d’autres disciplines : philosophie, psychologie, arts.
Il est un des membres fondateurs du Bloomsbury Group, composé d’intellectuels, universitaires, écrivains (dont Virginia Woolf), et d’artistes, peintres, musiciens, etc. Il accorde à la culture une grande importance sociale, justifiant qu’elle soit subventionnée par l’État.
● Sa vision de l’existence conjugue humanisme et esthétique. Sans le négliger, il ne fait pas de l’égoïsme humain le facteur central de l’initiative économique et de la décision des individus. Il considère au contraire l’intérêt général comme un cap devant orienter toute gouvernance économique.
● Mais, il se veut réaliste quant à la rationalité des comportements humains. Il estime qu’ils répondent à des motivations complexes, donc difficilement prévisibles, et qu’en situation d’incertitude, ils privilégient souvent l’imitation (comportements moutonniers) à la réflexion et à l’initiative personnelles…
Les travaux de son ami George Edward Moore en matière d’éthique intègrent la dimension paradoxale de la pensée et des comportements humains : le Paradoxe de Moore préfigure la double pensée, concept de la “novlangue” de George Orwell, dans son roman contre-utopique « 1984 »…
● D’ailleurs Keynes lui-même, comme Voltaire en son temps, n’hésita pas à recourir à la spéculation (sur les matières premières) pour s’assurer des revenus… Car il ne condamnait pas la spéculation en tant que modalité risqué de placement de l’épargne (et non comme arme irresponsable de destruction de l’économie réelle), mais il était très hostile au fait de gagner de l’argent sans travailler ni prendre de risques, et suggérait de toujours maintenir des taux d’intérêt bas pour, dit-il, « euthanasier les rentiers ».
► L’approche keynésienne se caractérise par son pragmatisme.
● Keynes ne commet pas l’erreur de traiter l’économie comme une science exacte, ce qui lui évite de vouloir à tout prix lui en donner l’apparence. Au lieu de tenter de formaliser une réalité complexe et mouvante sous la forme de formules mathématiques réductrices, il préfère admettre l’incertitude et tenter de la gérer pour ce qu’elle est, en recourant à l’analyse statistique et probabiliste.
● Donc, à la différence des économistes néoclassiques, il se garde de tout dogmatisme. Il ne prétend pas proposer de solution universelle et intemporelle, mais plutôt une approche méthodologique visant à poser le diagnostic préalable à la détermination du traitement souhaitable. Il peut, à la lumière des faits, changer de position sur des aspects majeurs de la politique économique. Partisan du libre échange avant la le krach de 1928, il justifie plus tard le protectionnisme et défend l’idée de « produire sur le sol national quand cela est possible et raisonnable », dans son article :
« L’auto-suffisance nationale »
publié dans “The Yale Review”, en juin 1933
Voir le détail au § ci-dessous :
« Son empreinte au XXe siècle. Le keynésianisme a-t-il un avenir ? »
► Parentés et ruptures avec les courants économiques précédents
… du point de vue de la nature humaine et du sens de l’existence.
● La philosophie de Keynes s’oppose aux thèses néoclassiques simplistes adoptées (aujourd’hui plus que jamais) par les politiques néolibérales, en particulier le présupposé de la stricte logique de comportement des acteurs économiques, qui rendraient prévisible le fonctionnement des marchés et conduisaient automatiquement à leur équilibre.
Il y voyait une fiction et ironisait à leur sujet, estimant qu’elles confondaient les hypothèses de départ avec les objectifs d’une gouvernance économique (la rationalité des acteurs économiques et la perfection du fonctionnement des marchés) : c’est parce qu’ils prennent leurs désirs pour des réalités, et croient aux miracles avec leur théorie aussi fumeuse que fameuse de - la main invisible des marchés - qu’ils jugent inopportune toute intervention de l’État.
Au contraire, pour Keynes, la prise en compte de l’intérêt général requiert l’intervention d’un arbitre légitime car impartial.
● Alors que les néoclassiques fondent leur doctrine sur leur analyse microéconomique in vitro de comportements individuels intemporels et sur la seule loi des marchés, Keynes, comme Marx dont il conteste par ailleurs la pensée, intègre à son analyse macroéconomique la dimension historique et sociale des faits économiques et politiques.
► Du mythe néoclassique de la liberté des acteurs économiques
… à la nécessité d’une régulation socioéconomique extérieure aux marchés
Selon Keynes :
● Bien des raisons font que la somme des intérêts individuels qui s’expriment au niveau des marchés (biens & services, emploi, capitaux), n’aboutit ni à un équilibre garanti (l’offre peut s’avérer supérieure à la demande, et inversement), ni à la réalisation de l’intérêt général, car le pouvoir des différents acteurs économiques n’est évidemment pas égal.
● Malgré ses convictions libérales (il reste attaché à la libre entreprise), il considère contrairement aux économistes “classiques”, que l’offre de biens et de services de la part des entreprises n’est pas en mesure de garantir le plein-emploi. Pour Keynes, c’est la demande des consommateurs qui soutient la production, le facteur essentiel étant leur pouvoir d’achat.
● Et pour Keynes le niveau de consommation de dépend pas en premier lieu du prix des produits et des services, mais du revenu des consommateurs. Vouloir jouer sur la limitation des prix, voire la baisse des coûts de production, pour maintenir l’inflation au plus bas (politique monétariste anti-inflationniste) :
→ non seulement n’accroît pas le pouvoir d’achat réel,
→ mais, en outre, nuit à l’emploi, et donc, à terme, au pouvoir d’achat,
→ amorçant un cercle vicieux.
● De plus, le niveau de consommation n’est pas strictement proportionnel au revenu car au-delà d’un certain niveau de revenu, l’épargne prend le dessus.
● Enfin, toujours contrairement à l’opinion des économistes néoclassiques, la monnaie n’est pas qu’un facteur virtuel (un voile).
Faire varier les taux d’intérêts n’a pas pour seul effet de permettre d’arbitrer le choix des acteurs économiques entre épargne et consommation :
→ car outre sa fonction d’échange immédiat,
→ la monnaie (l’argent) est recherchée comme liquidité, facteur de liberté.
Un taux d’intérêt incitatif (le plus élevé possible, et dans tous les cas supérieur au taux d’inflation) encourage à une épargne à plus long terme, favorable à l’investissement dans l’économie réelle, plutôt qu’à une épargne liquide.
Une épargne à long terme est constitutive des capitaux propres du secteur financier et donc de sa fiabilité économique. Alors qu’une épargne liquide est beaucoup plus volatile.
Mais un facteur de krach financier consiste notamment dans une confusion entre ces deux qualités d’épargne : considérer comme des capitaux propres du secteur financier, des produits d’épargne ou de crédit fragilisés par un risque d’insolvabilité (achats boursiers à découvert en l’absence de contrepartie, dans le cas du krach de 1929, prêts hypothécaires insolvables, lors de la crise des “subprimes” de 2008).
● L’emploi étant une préoccupation centrale de l’analyse keynésienne, et le chômage ayant explosé dans de nombreux pays durement touchés par la crise de 2008, dont l’origine financière ressemble beaucoup à celle de 1928, un New Deal keynésien aurait-il aujourd’hui le même sens et la même portée que dans les années 1930 ?
C’est l’objet de notre thème suivant.
L’empreinte de Keynes au XXe siècle : la politique keynésienne de relance du New Deal permit au président américain F.D. Roosevelt de sortir les États-Unis de la profonde crise consécutive au krach de 1929.
Après la Seconde Guerre Mondiale, le système économique de la plupart des pays du monde capitaliste associait un secteur public intégrant généralement les services publics et les grandes entreprises les plus stratégiques, et un secteur privé fonctionnant sur un mode libéral, mais dans le cadre de la gouvernance de l’État, garante de l’intérêt général. Le mode de gouvernance de ces économies mixtes était de type keynésien.
Mais à partir des chocs pétroliers des années 1970, le pilotage keynésien des économies ne réussit pas à contrôler leurs effets de bord, en particulier l’emballement de l’inflation. Les néolibéraux monétaristes parvinrent alors à imposer leurs vues (c’est en 1976 que Milton Friedman se vit décerner le Prix Nobel d’économie).
(lire la suite…)
Risquons un diagnostic de la crise actuelle selon le prisme keynésien.
… en comparant ses prescriptions d’alors et notre réalité actuelle.
► Inégalités socioéconomiques, consommation, et niveau global d’activité
Keynes observe que ce sont les ménages les plus modestes qui consacrent à la consommation la plus forte proportion de leurs revenus. C’est donc en augmentant les revenus les plus faibles que l’impact sur le niveau de consommation est le meilleur.
Il propose donc plusieurs mesures allant dans le sens du soutien de la demande de biens et de services :
● Limiter et même réduire le niveau d’inégalités socioéconomiques grâce à une redistribution (aides sociales, avantages fiscaux, etc.), afin d’accroître la demande effective de biens et de services.
● Admettre un taux d’inflation salutaire, maintenir des taux d’intérêt bas, et limiter raisonnablement la hausse du niveau global des salaires, afin de :
→ dissuader de trop épargner et encourager la consommation,
→ réduire le poids de l’endettement privé comme public,
→ soutenir ainsi le pouvoir d’achat des ménages,
→ ainsi que la capacité d’investissement de l’État,
→ et la capacité des entreprises à investir et à recruter.
● Recourir à une « socialisation de l’investissement » :
une politique d’investissements publics, notamment mais pas seulement de grands travaux d’infrastructures, ne doit pas être comprise comme une cause supplémentaire de déficit budgétaire, mais comme :
→ un complément nécessaire de l’investissement privé, en vue de permettre à
→ terme la restauration d’un équilibre entre épargne et investissement,
→ lequel est favorable au plein emploi,
→ et à terme, une source de recettes publiques supplémentaires, grâce à
→ l’accroissement du volume de collecte fiscale, du fait de l’augmentation
→ du niveau global de l’activité économique.
► Mise en garde de Keynes envers les remèdes néoclassiques :
● Flexibiliser le marché de l’emploi, neutraliser les syndicats et le dialogue social, supprimer le salaire minimum, réduire voire supprimer des indemnités chômage, produit un double effet pervers.
→ D’une part, cela entraîne une précarisation d’une partie de la population
→ et crée une société à deux vitesses :
→ >>> un noyau dur d’emplois haut de gamme (contrat et conditions de travail,
→ >>> rémunérations, protection sociale et avantages complémentaires divers)
→ >>> et une proportion croissante d’emplois déclassés (intérim et contrats
→ >>> précaires, nombre d’heures de travail excessif pour un revenu minimum,
→ >>> mauvaises conditions de travail et leurs conséquences, etc.)
→ D’autre part, l’impact sur le niveau global de consommation est négatif,
→ au détriment final de l’activité économique globale.
● Or s’acharner à réduire les rigidités du marché du travail ne se justifie pas, car :
→ la résolution du chômage passe en réalité par l’augmentation de la
→ demande effective…
→ Alors que ces prétendues rigidités constituent en fait un double
→ amortisseur, lequel :
→ >>> en temps normal, évite l’accroissement des inégalités nuisibles à la
→ >>> consommation et donc à l’activité économique,
→ >>> et en période de crise, constitue un matelas évitant une casse sociale
→ >>> trop importante.
● Favoriser l’épargne par des taux d’intérêt trop élevés, décourage l’investissement des entreprises et nuit à l’emploi.
C’est toute la différence entre :
→ la politique de l’offre des néoclassiques, pour qui le salaire est un coût et
→ les cotisations sociales, des charges,
→ et la politique de la demande de Keynes, pour qui le salaire est un revenu et
→ les cotisations sociales, un investissement social à court, moyen et long terme.
► Notre “analyse comparative” :
● Il est aisé de constater les similitudes entre les effets pervers des politiques néolibérales, contre lesquelles Keynes mettait en garde les gouvernants, et la situation à laquelle les règles des organisations économiques internationales (OMC, FMI et Union Européenne) ont conduit.
● Il est tout aussi évident que les remèdes à la crise actuelle auxquels l’Union Européenne prétend soumettre les pays membres depuis 2008 s’inscrivent dans la continuité de ses dogmes de concurrence voulue par elle pure et parfaite, c’est-à-dire sa fameuse ” concurrence libre et non faussée “.
● En revanche, ce qui a certainement le plus changé depuis l’époque à laquelle Keynes a élaboré son analyse, c’est le degré d’imbrication économique des territoires nationaux, avec la quasi abolition des frontières imposée par les groupes multinationaux et par la finance internationale.
● Or, loin d’être un facteur parmi d’autres concourant à la neutralisation des effets d’une politique keynésienne de relance par l’offre, ce point est crucial car :
→ dans le contexte actuel de dumping généralisé, toute progression des revenus les plus bas se traduit par un accroissement des importations supérieur à celui de la demande de biens produits localement,
→ limitant d’autant l’effet positif sur le niveau de l’activité économique nationale…
… sans que pour autant une politique de relance par l’offre contribue à rétablir un équilibre suffisant entre offre locale et demande locale, susceptible de réduire significativement le chômage.
Le dumping structurel, résultant de la dérégulation des échanges, a pour double conséquence :
→ un effet d’amortisseur négatif (ralentisseur) de la relance par la
→ demande,
→ et un effet de handicape à l’égard de la qualité sociale de l’économie
→ (ou protection sociale) dans le cadre d’une relance par l’offre.
Alors que la lecture néolibérale du même phénomène inverse le propos, faute de considérer l’existence et la nocivité de ce dumping, qu’elle limite à de rares exceptions d’ordre purement conjoncturel (le non respect des règles établies).
C’est ainsi que les politiques néolibérales :
→ loin de considérer les règles de qualité sociale (systèmes de
→ protection sociale et de redistribution) et environnementale comme une
→ condition nécessaire à un développement socioéconomique soutenable
→ (développement durable),
→ y voient la cause de tous les maux et s’acharnent à les éradiquer comme
→ une plante envahissante et nuisible à leur objectif prioritaire, qui n’est
→ évidemment pas l’emploi et encore moins le revenu du plus grand nombre,
→ mais… le profit d’une minorité,
“les 1%” selon le très keynésien Joseph Stieglitz.
► Nous devons en conclure que loin d’être conjoncturelle,
… c’est une crise structurelle que nous subissons.
Elle est provoquée par les (anti)règles d’institutions faussant les fondements du système économique mondial. Ce qui explique que, de surcroît, une telle crise soit très vite devenue systémique, tout coupe-feu ayant été banni par ses architectes.
Mais nous pouvons certainement encore compter sur Keynes pour renvoyer dans les cordes les arrogants colporteurs de l’illusionnisme néolibéral, tout en leur donnant une salutaire leçon de modestie et d’honnêteté intellectuelle.
Voici en quels termes il démystifia une question déjà taboue à son époque,
celle du ” protectionnisme “ :
John Maynard Keynes, “National Self-Sufficiency”
The Yale Review, Vol. 22, no. 4 (June 1933), pp. 755-769.
« Comme la plupart des Anglais, j’ai été éduqué dans le respect du libre-échange, non seulement comme une doctrine économique dont toute personne rationnelle et instruite ne saurait douter, mais presque comme une partie intégrante des règles morales. Je considérais le fait de s’en écarter comme étant à la fois une stupidité et un blasphème. Je voyais dans les convictions inébranlables de l’Angleterre à l’égard du libre-échange, inchangées depuis près d’un siècle, aussi bien l’explication rationnelle de sa suprématie économique pour le commun des mortels, que sa justification divine. Comme je l’écrivais encore en 1923, le libre-échange était basé sur des “vérités” fondamentales ; lesquelles, établies en bonne et due forme, ne sauraient être contestées par quiconque comprenant le sens des mots.
►
Aujourd’hui, au réexamen des vérités fondamentales que j’avais fournies alors, je ne suis toujours pas vraiment enclin à les contester. Mais désormais, ma tournure d’esprit a changé ; et nous sommes nombreux à partager ce changement de vision. Cela signifiant, bien sûr, la modification partielle de ma théorie économique ;
►
(…)
►
J’approuve donc ceux qui minimiseraient l’imbrication économique des nations entre elles, plutôt que ceux qui la maximiseraient. Idées, connaissance, science, hospitalité, voyages, ce sont des choses qui, par nature, devraient être internationales. Mais que la fabrication de nos produits soit locale, autant que cela s’avère raisonnablement et pratiquement possible, et, par dessus tout, que nos finances soient prioritairement nationales. Toutefois, dans le même temps, ceux qui comptent défaire un pays de ses liens d’interdépendance extérieure, doivent être très prudents et se garder de toute hâte. Car il ne s’agit pas de déraciner la plante mais de réorienter sa croissance dans une autre direction.
►
(…)
►
Nous ne savons pas quelle en sera l’issue. Nous sommes appelés - chacun de nous, je m’y attends - à commettre bien des erreurs. Nul ne peut dire lequel des nouveaux systèmes s’avérera le meilleur.
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Mais le propos de mon présent exposé est le suivant. Chacun de nous nourrit ses propres vues. Mais à moins de croire être déjà hors de danger, nous devrions, tous et chacun, être déterminés à tout mettre en œuvre pour notre propre salut. Nous ne souhaitons donc pas être à la merci de forces planétaires travaillant, ou s’y essayant, à la réalisation de quelque équilibre parfait en vertu des principes idéaux, si l’on peut dire, du capitalisme du “laisser-faire”. Il y a toujours des partisans inconditionnels des vieilles idées, mais il n’est nul pays au monde où ils puissent être aujourd’hui reconnus comme un recours sérieux. Nous souhaitons - au moins pour le moment et aussi longtemps que durera la phase actuelle de transition et d’expérimentation - être nos propres maîtres, et nous rendre aussi libres que possible des interférences extérieures.
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Ainsi, de ce point de vue, une politique d’autosuffisance doit être considérée non comme un idéal en soi, mais comme étant orientée vers la création d’un environnement favorable, facilitant et sécurisant la poursuite des autres idéaux*. »
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Il semble bien que le Krach de 2008 et la récession actuelle nous ramènent à la case prison de 1929.
À la lumière des différents courants se réclamant de John Maynard Keynes, le keynésianisme a-t-il un avenir ?
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►►►►►► ►► Amartya Sen ►►►►►►►►► ►►►►►►► Joseph Stiglitz
►►► ►► Prix Nobel d’économie 1998 ►►►►►► ►►► Prix Nobel d’économie 2001
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Les courants se réclamant du keynésianisme ont été nombreux et parfois même divergents.
Alors que Keynes a toujours été extrêmement critique à l’égard de Marx, ce ne fut pas le cas de tous ses héritiers.
► Les « Post-keynésiens »
L’économiste britannique Joan Robinson (1903 - 1983), également membre éminent de l’École de Cambridge (au Royaume-Uni), travailla d’abord directement avec Keynes.
● Par la suite, elle s’efforça de mettre en évidence les convergences possibles entre analyse marxienne (et non marxiste) et analyse keynésienne, notamment en estimant qu’elles voyaient l’une et l’autre une origine des crises économiques dans l’inadéquation chronique entre capacité de production et capacité de consommation (Marx, Marshall et Keynes, 1955).
● Au contraire, elle critiqua vivement le « keynésianisme de la synthèse » (synthèse entre l’approche macroéconomique keynésienne et les théories microéconomiques néoclassiques), dont le creuset était l’Université de Cambridge (aux États-Unis), au sujet des théories de la croissance. Considérant qu’il s’agissait du mariage de la carpe et du lapin, elle qualifia de « keynésianisme dégénéré » ce qu’elle considérait comme une chimère.
Elle dénonçait surtout le fait de prétendre intégrer à l’analyse macroéconomique keynésienne la description de mécanismes microéconomiques dont l’analyse est fondée sur des hypothèses artificielles et généralement irréalistes que Keynes avait lui-même souvent fustigées : notamment celles de la main invisible des marchés et de la rationalité présupposée du comportement des agents économiques (producteur, consommateur).
● S’interrogeant sur la dynamique économique, Joan Robinson revint aux fondamentaux de la production, de l’échange, et des règles sociales et politiques qui en déterminent les modalités. Elle s’intéressa plus particulièrement au sens et au rôle des sciences économiques (l’épistémologie économique) et à leur capacité à inspirer la politique économique :
« Si on pose une fois de plus la question
“Est-ce qu’un investissement réalisé pour produire des colifichets, pour lesquels il faudra faire de la publicité, serait une plus grande contribution au bien-être humain qu’un investissement améliorant le service de santé ?”,
il me semble que la réponse saute aux yeux ; la meilleure réponse que l’idéologie du laisser-faire puisse offrir est de ne pas poser la question. »
(Philosophie économique, p.223)
● Ce qui la conduisit à reconsidérer les théories de la valeur, et notamment celle de la valeur-travail, tout en conservant ses distances, comme l’avait fait Keynes, à l’égard de la théorie de la valeur travail chère à Marx :
« On nous dit qu’il n’est pas possible de parler d’exploitation excepté en termes de valeur, mais pourquoi devons-nous utiliser l’espace des valeurs pour montrer qu’on peut faire des profits dans l’industrie en vendant des marchandises au-dessus de leur coût de production ou pour expliquer le pouvoir de ceux qui commandent la finance sur ceux qui ne le font pas ? » (Revue Monthly Review, 1977)
● Après la Seconde Guerre mondiale, Joan Robinson fut l’une des figures majeures du post-keynésianisme.
► Les « Nouveaux-keynésiens »
Au nombre des courants hétérodoxes, comptons actuellement celui de la nouvelle économie keynésienne (néo-keynésianisme), auquel appartient le « Prix Nobel » d’économie 2001, Joseph Stiglitz.
● Leur intérêt pour le dysfonctionnement des marchés, et plus particulièrement celui du marché du travail, lequel, en affectant l’emploi, déséquilibre la répartition des revenus dans la société et le budget public, les a conduits :
→ à une critique du laisser-faire cher aux économistes néo-classiques
→ (néolibéraux),
→ et à dénoncer les politiques de rigueur ne visant qu’à l’équilibre budgétaire
→ et à la lutte contre l’inflation.
● Ils contestent également l’hypothèse néolibérale de l’égalité des chances des acteurs économiques, même soumis à une réglementation identique, ainsi que l’hypothèse de la fluidité et de la pertinence de l’information prise en compte par eux.
● Estimant que la rigueur budgétaire en temps de crise ne parvient qu’à saper toute dynamique de reprise économique et donc à aggraver à terme les déséquilibres budgétaires, ils plaident au contraire pour une politique d’investissements à la fois à court et à long terme, permettant de renforcer l’emploi aujourd’hui et de générer celui de demain.
● Il ne s’agit pas de privilégier une politique de la demande, en faveur de la consommation, au détriment d’une politique de l’offre, en faveur de l’entreprise, mais bien de combiner les deux afin de rétablir leur adéquation.
● Dans tous les cas, ils justifient une régulation socioéconomique incombant aux gouvernements, afin de rééquilibrer les forces agissantes et de rétablir les équilibres nécessaires à un fonctionnement équitable et efficient des marchés.
► L’avenir du « keynésianisme »
Après le constat :
● Depuis les années 70, les économistes et les politiciens néolibéraux étaient persuadés d’avoir enterré les thèses de Keynes. Les mastodontes de l’économie mondialisée pensaient (et croient certainement encore) s’être définitivement affranchis de la tutelle des États et, au contraire, être désormais en mesure de leur imposer leur propre loi, celle de leurs intérêts particuliers et des marchés.
● Mais il n’échappera à aucun esprit simplement doué de raison, que cet ultra-libéralisme ne peut plus compter sur celle des acteurs économiques pour prévenir le dysfonctionnement des marchés. A l’inverse, leurs spasmes n’ont cessé de se multiplier et de s’aggraver. Et, faute d’être canalisés par le législateur, ils débouchent sur des cataclysmes sociétaux et écologiques à répétition.
● Il ne suffit plus de brandir le spectre de la planification soviétique et ses conséquences catastrophiques pour l’ex bloc de l’URSS, ou l’ubuesque système politique fossile de la Corée du Nord, pour convaincre de la nocivité d’une reprise en main des enjeux économiques, sociaux et environnementaux par les États…
● Entre ces deux extrêmes qui n’ont que trop prouvé leur capacité de nuisance, il est plus que temps de renouer avec la voie du milieu, celle d’une économie mixte capable d’articuler de manière pondérée la liberté d’entreprise moteur du dynamisme économique, et la sauvegarde de l’intérêt général par les États, seuls garants de la compatibilité à long terme entre l’économie, les sociétés et l’environnement. Le nécessaire équilibre entre le respect des libertés individuelles et la cohésion sociale indispensable au bien-être de chacun et à la paix entre tous.
Un projet peut se dessiner…
● Le premier point fort de l’approche keynésienne doit beaucoup à la personnalité de son concepteur. Il tient dans l’absence de dogmes, de doctrine et même de “morale” au sens quasi-religieux du terme, au profit d’une éthique réaliste et d’une adaptabilité pragmatique. Il s’agit de composer avec les paradoxes de la psychologie et des comportements humains, comme avec les modifications du milieu ambiant, au lieu de prétendre mettre en équation une fiction consistant dans la dénégation de leur réalité.
Keynes lui-même en a fait la preuve en se remettant en question à propos du libre-échange, considérant, après en avoir longtemps venté les vertus, qu’un protectionnisme anti-dumping était nécessaire à la sauvegarde des équilibres socioéconomiques locaux.
● Un second point fort réside dans la vision holistique et systémique de l’approche macroéconomique, dynamique car intégrant naturellement le facteur temps. Il est d’autant plus nécessaire de tenir compte de la complexité du réel, en prenant en compte le mieux possible les interactions entre les individus, les sociétés et l’environnement, et en évaluant les conséquences positives et négatives de leurs modalités. Il s’agit là d’une définition possible de l’écologie politique, mettant en évidence sa compatibilité avec une approche keynésienne.
C’est notamment un des objectifs de l’identification de critères pertinents de développement socioéconomique soutenable, et de la mise au point d’indicateurs tenant compte de ces interactions, et des phénomènes de cause à effet.
● Dans les faits, ce potentiel est concrétisé par la Commission Stiglitz, regroupant des économistes tels que Joseph Stiglitz, de l’université de Columbia, l’Indien Amartya Sen, de l’université de Harvard, spécialiste des questions de pauvreté et de développement socioéconomique, Jean-Paul Fitoussi, de l’Institut d’Études Politiques de Paris, et président de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).
Les travaux de cette commission sur la mise au point de nouveaux indicateurs économiques en remplacement du PIB, l’indicateur de croissance si peu représentatif des enjeux d’un développement socioéconomique soutenable, rejoignent les préoccupations de Joan Robinson, lorsqu’elle critiquait l’approche de la croissance, partagée par les néoclassiques et les « keynésiens de la synthèse ».
● Nous pouvons considérer que le concept de Troisième révolution industrielle, popularisé par l’Américain Jeremy Rifkin, s’inscrit également dans cette logique. Il aspire à l’avènement d’une ère nouvelle, post-énergies fossiles et post-nucléaire, où l’organisation centralisée de distribution de l’énergie céderait la place à un Smart intergrid comparable au fonctionnement de la toile Internet, assurant l’interconnexion d’une production décentralisée voire individualisée.
● Mais pour que la pensée de John Maynard Keynes reprenne réellement vie, il resterait à ses héritiers à lui redonner force de loi, en parvenant à modifier radicalement les règles économiques internationales, en particulier au sein des grandes institutions telles que le FMI, l’OMC, la Banque mondiale, et bien sûr celles de l’Union Européenne. Celles-ci étant encore instrumentalisées par la puissante oligarchie mondiale bénéficiaire du “laisser-faire” et du “laisser-passer” économique, avec le soutien de la plupart des gouvernants nationaux de la planète…
Nulle doute qu’un tel renversement de situation, ou plus exactement le rétablissement de valeurs de civilisation “sociable” abandonnées par les promoteurs de la mondialisation néolibérale, constituerait en soi, du fait des avancées démocratiques qu’elle suppose en termes de conscience citoyenne, une voie véritablement nouvelle, quel que soit le nom dont elle se réclamera ou se redéfinira…
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