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Une brève histoire de la pensée économique et ses implications contemporaines.

Cinquième partie :

L’évolution de la pensée économique du 19e siècle à nos jours.

Pensée et courants socialistes

Un courant de pensée économique nouveau apparut : le socialisme. Il se consacra à l’étude des questions économiques et sociales découlant de la révolution industrielle. Ses contributeurs ont été nombreux et variés, allant de la simple analyse des problèmes identifiés, à des propositions politiques plus ou moins concrètes de systèmes alternatifs, voire de révolutions politiques, économiques et sociales.

Le mot socialisme, en tant que système socioéconomique et politique, date de 1820.


  • Socialisme réformiste : le Suisse Jean de Sismondi (1773 - 1842) est considéré comme précurseur du socialisme.

    D’abord adepte des thèses libérales d’Adam Smith, il les dénonce finalement en constatant les conséquences du capitalisme industriel. ►►►►►►►►►►►►►►►►►►►►►►►►►►►►►►►►►►► Il considère qu’il ne s’agit pas de “dommages collatéraux” mais du résultat inhérent à ce système économique. Il demeure cependant opposé à toute révolution.

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    • Ce n’est qu’à l’âge de 46 ans que Jean Charles Léonard Simonde de Sismondi rompt avec le libéralisme économique du courant classique. D’origine bourgeoise, il restera partagé entre son respect des institutions et son constat sincère des dérives du système capitaliste qu’il ne souhaite pas abolir, mais réformer.

      L’économie politique est une science morale dont le but réel consiste dans l’étude du bien-être de l’être humain :

      Contrairement aux économistes qui l’ont précédé, il estime qu’elle doit s’intéresser à l’histoire réelle, plutôt qu’à des hypothèses et à des abstractions.

      Et elle doit se préoccuper de l’avenir du capitalisme, car il estime que le capitalisme porte en lui les germes d’une paupérisation de la société.


      La remise en question des positions de ses prédécesseurs par Sismondi, porte en priorité sur les points suivants :


      1- Le déséquilibre des marchés : la question de l’offre et de la demande.


      ● Contrairement à l’avis de l’économiste classique Jean-Baptiste Say, Sismondi affirme que l’offre ne crée pas automatiquement la demande, et ne s’adapte pas forcément à elle. Miser sur la mobilité immédiate des facteurs de production que sont le capital et le savoir-faire, est une erreur. D’où une impossibilité de prévoir les débouchés de façon certaine. Ce qui se traduit par une crise permanente d’adaptation, voire de reconversion.

      ● Alors que les classiques voyaient la concurrence comme étant toujours bienfaisante car facilitant l’adaptation de l’offre à la demande*, Sismondi considère qu’elle peut en réalité s’avérer un piège pour la société comme pour le capitalisme lui-même. En effet :

      Lorsque la demande est supérieure à l’offre, il est possible de rééquilibrer le marché par l’amélioration de la qualité des biens et des services offerts (l’augmentation de prix correspondante ne relevant pas d’un processus inflationniste, mais de développement).

      Mais lorsque la demande est inférieure à l’offre, un rééquilibrage de l’offre et de la demande par la baisse des prix est désastreux car il fait disparaître les petits producteurs.

      ● Ce processus aboutit à la diminution du nombre des producteurs par secteur d’activité, au gigantisme des producteurs restants, et à des situations de quasi monopole, neutralisant de fait la concurrence et créant des rente de situation pour ces groupes industriels, au détriment des consommateurs comme des salariés.



      2- Le paupérisme : le capitalisme aboutit à l’appauvrissement du plus grand nombre.

      Le processus de cette paupérisation est le suivant :

      ● Pour les économistes classiques, la VALEUR TRAVAIL consiste dans une mesure commune de VALEUR des biens, correspondant non pas à leur VALEUR D’ÉCHANGE (leur prix), mais à la quantité de travail nécessaire à leur production (que Marx dénommera plus tard le travail incorporé). Ils ne remettent pas en question le niveau des rémunérations de ce travail, ni la répartition du profit dont seul décide l’entrepreneur / employeur.

      ● Pour Sismondi, comme plus tard pour Marx, c’est ce travail incorporé dans le produit qui est à l’origine de TOUTE la VALEUR du produit. Sans travail, le produit ne peut pas voir le jour. C’est donc grâce au travail qu’est générée la VALEUR NETTE, ou profit, c’est à dire la différence positive entre le prix de vente et la totalité des coûts de production, incluant la rémunération du travail. Sismondi emploie le terme de MIEUX-VALUE pour désigner l’écart entre la valeur de ce que produit le travail et la rémunération qu’il reçoit. Marx l’appellera la “PLUS-VALUE”.

      ● Cette MIEUX-VALUE, est donc la VALEUR AJOUTÉE par le travail qui n’est pas rémunérée (si cette VALEUR AJOUTÉE était rémunérée en totalité, alors la MIEUX-VALUE disparaitrait…) Elle est réinvestie par l’entrepreneur sous la forme d’équipements productifs (machinisme), dès lors que le coût de ces équipements (achat et fonctionnement) est inférieur au coût du travail (rémunérations). Ainsi, la VALEUR TRAVAIL génère un capital productif qui s’accumule progressivement.

      ● Or cette substitution du capital productif au travail humain n’enrichit que les employeurs, et entraîne une baisse du pouvoir d’achat (diminution des revenus due à la perte d’emploi et/ou à la baisse des rémunérations) des salariés et donc de la consommation. Dans ces conditions, au surplus de production ne peut pas correspondre un surplus de consommation.

      ● Il estime donc que le capitalisme porte en lui les germes d’une paupérisation de la société, en détruisant à terme les classes moyennes par la pression à la baisse des salaires (notamment avec la mécanisation des modes de production) et donc de la consommation ; ce qui conduit à une crise de surproduction et une bipolarisation sociale risquant de déboucher sur des violences, voire des révolutions.

      3- Les crises :

      ● L’entrepreneur cherchant à maximiser la production par salarié, et à minimiser les rémunérations, la crise de surproduction trouve donc son origine dans l’inégalité de répartition des revenus. Le but du capitalisme ne réside pas dans la VALEUR D’USAGE, mais dans la VALEUR D’ÉCHANGE et la recherche d’un profit financier optimal, lui-même conditionné par la vente des marchandises.

      ● La conséquence en est conjointement :

      d’une part l’augmentation de la production,

      et d’autre part la limitation du pouvoir d’achat et de la consommation ouvrière,

      d’où une difficulté chronique à la réalisation d’un profit commercial à partir de la production, et une tendance générale du système capitaliste à la crise de surproduction.

      4- Les solutions proposées par Sismondi :

      ● Pour résoudre la crise de surproduction, le capitalisme doit rechercher également des débouchés extérieurs.

      Mais en rupture très nette avec les économistes classiques, et notamment avec Ricardo, Sismondi prône l’interventionnisme de l’État dans le but de ralentir le développement du capitalisme :

      ● L’État doit limiter la vitesse de l’accumulation du capital :

      en s’opposant au progrès technique destructeur d’emploi,

      en interdisant la concentration de richesse dans trop peu de mains.

      ● L’État doit revenir aux grands équilibres des époques antérieures (pré-capitalistes) :

      en reconstituant les classes moyennes, par la concentration des facteurs de production que sont le capital et le travail, dans certains secteurs :

      dans l’agriculture, avec un retour aux paysans propriétaires,
      dans l’industrie, avec un retour à l’artisanat.

      en mettant en place une politique sociale, de manière à remédier aux souffrances les plus criantes du peuple.

      ● Mais les positions de Sismondi ne suggèrent pas de mesures radicales mettant fin au capitalisme.

      Au contraire, il cherche à résoudre ses contradictions afin de le sauver d’une autodestruction inéluctable, faute de régulation étatique.

      Sa proposition consiste finalement dans un socialisme d’État, maintenant un certain niveau d’indépendance entre l’État et l’économie capitaliste.

  • Socialisme utopique : ce terme désigne souvent les premières formes de socialisme du XIXe siècle qui précédèrent Marx, et ses premiers contributeurs. Mais en réalité, ce courant multiforme caractérise des modes de vie communautaire ayant en commun certaines valeurs du vivre ensemble, essentiellement la simplicité, la fraternité et le partage. Ayant traversé toute l’histoire de l’humanité, il remonte donc à la nuit des temps.

    • Replacé dans le contexte historique et culturel occidental, ce courant peut regrouper aussi bien l’Ordre des frères mineurs fondé par François d’Assise en 1209, que le mouvement Hippie du XXe siècle, en passant par les phalanstères de Charles Fourier dans les années 1830-1840, ou encore par l’anarchisme non-violent de Pierre-Joseph Proudhon
    ►► Charles FourierLouis Auguste Blanqui Pierre-Joseph Proudhon
    ►►►►(1772-1837)►►►►(1805-1881)►►►►►(1809-1865)

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    • Le terme « socialisme utopique » serait dû à Friedrich Engels, souhaitant le distinguer, de manière quelque peu condescendante, du « socialisme scientifique » incarné par Marx et lui-même qui monta en puissance après 1870.

      Le socialisme utopique a donc également représenté un courant transversal au sein du socialisme européen du XIXe siècle à nous jours.



      Les points de convergence de mouvements multiples et très variés.

      Les valeurs communes d’un courant très diversifié.

      Il s’agit d’abord de projets de communautés idéales, que les règles en soient strictes (communautés religieuses) ou au contraire libertaires, et qu’elles acceptent la propriété privée ou soient de type communiste.

      Ces communautés partagent une vision sociale et humaine universaliste : elles sont ouvertes à tous, sans distinction de classe ou de richesse, mais elles constituent toutes une réaction et une proposition alternative à un système politique, socioéconomique ou sociétal nuisible au développement humain.

      Un constat et des objectif communs aux utopistes du XIXe siècle :

      Le facteur le plus puissant d’asservissement de l’homme est inhérent au système capitaliste : c’est le travail. La plupart des maux sociaux en sont la conséquence : misère, alcoolisme, travail des enfants, éducation gâchée, avenir meilleur condamné.

      Un objectif prioritaire est donc de réduire sa pression (diminution du temps de travail) et d’en améliorer les conditions (hygiène et sécurité, respect des personnes, rémunération).

      Dans le même temps, une éducation assurée dès le plus jeune âge, y compris celle des enfants du prolétariat au sein de crèches ouvertes à tous, est le moyen le plus efficace de libération des consciences et d’autonomisation des personnes.

      Des modalités communes :

      Cette alternative au modèle social dominant, ne peut pas résulter d’une révolution violente, ni de réformes émanant de l’État, dans lequel les promoteurs d’expériences de socialisme utopique n’ont pas confiance, ou dont ils souhaitent rester indépendants par principe.

      Réalisés directement par les citoyens eux-mêmes (société civile), du fait de leur multiplication, ces projets communautaires étaient supposés transformer progressivement la société capitaliste en une société socialiste, voire pour certaines contribuer à améliorer la nature humaine. Mais jusqu’à ce jour, les très nombreuses expériences communautaires apparentées à ce courant à travers le monde, n’ont pas vraiment atteint ce vaste objectif…

      L’héritage de Rousseau :

      L’influence ou la reconnaissance de la pensée de Rousseau apparaît nettement dans les mouvements socialistes utopiques du XIXe siècle, qui considèrent que l’Homme est la résultante de son environnement naturel, social et politique, dont il doit s’affranchir pour se re-construire et se gérer de manière à se -humaniser. L’Homme étant bon par nature, il faut faire confiance à sa raison pour transformer la société.

      Dans une société idéale où primeront les valeurs humanistes, ou la liberté, l’égalité et la fraternité auront remplacé la confrontation violente des classes sociales et l’injustice économique, ni les institutions de la contrainte (police, prison), ni celles de l’assistanat socioéconomique (caritatives ou redistributives) n’auront plus lieu d’être.

      Lorsque Proudhon, le premier a s’être défini comme anarchiste, déclare dans son mémoire “Qu’est-ce que la propriété ? ou Recherche sur le principe du Droit et du Gouvernement” publié en 1840 :

      « La propriété, c’est le vol »

      il marche bien évidemment dans les pas de Jean-Jacques Rousseau.



      Différents mouvements et personnages relevant du socialisme utopique.

      Saint Simon et le saint-simonisme : Claude Henri de Rouvroy, comte de Saint Simon (1760-1825), est avec Auguste Comte qui travailla à ses côtés, un précurseur du positivisme.

      Il développa le concept de Nouveau Christianisme, considérant le progrès scientifique comme essentiel au mieux-être des Hommes (technique), à une plus grande justice sociale (fraternité) et à son évolution spirituelle. Les scientifiques, les industriels et les philanthropes partagent donc une grande responsabilité à l’égard de la société.

      L’organisation du travail est essentielle, ainsi que le fonctionnement social en réseau permettant d’accélérer la propagation et d’accroître l’efficacité des idées et des pratiques positives. La vison systémique qu’en a Saint-Simon, s’inspirant de l’exemple des systèmes organiques du corps humain, rappelle celle des physiocrates.

      Charles Fourier et le fouriérisme : François Marie Charles Fourier (1772-1837), est un des pionniers majeurs du mouvement associatif et coopératif en France.

      Le travail aliénant : comme tous les socialistes utopiques, Charles Fourier considère que le travail subi comme une contrainte vitale, et non comme une activité épanouissante, est un frein au développement humain, matériel et spirituel, et pervertit les relations sociales.

      L’attraction passionnée : Fourier s’est consacré à une étude de la diversité des passions humaines (sensuelles, affectives et organisatrices). La forme de son analyse peut rappeler par certains aspects la démarche philosophique bouddhiste, mais qui fait en réalité appel à des considérations semblant parfois tout à fait fantaisistes. Et il considère qu’il suffit de canaliser ces inclinations humaines et de les organiser afin d’en tirer le meilleur parti, pour concilier intérêt personnel et intérêt général.

      Le Phalanstère : à la fois construction architecturale (lieu de travail et lieu de résidence collective), organisation sociale (réunissant 1620 individus de tous âges) et combinaison d’activités économiques complémentaires (agricole, industrielles) et culturelles (éducation des enfants et enseignement pour les adultes), il représente la concrétisation de l’idéal fouriériste. Le féminisme y est favorisé, ainsi qu’une liberté de mœurs favorable à l’épanouissement individuel et collectif.

      Mais ces expériences de « communisme primitif » menées en France et à l’étranger (jusqu’en Amérique du Nord) ne réussirent pas à prendre racines, notamment pour des raisons d’organisation défaillante, de manque de moyens et rentabilité insuffisante des activités économiques.

      Le Familistère Godin : en revanche, des organisations héritières du même courant de pensée, mais conduites de manières sans doute plus réaliste par des industriels comme le sidérurgiste Jean-Baptiste André Godin (1817-1888), eurent davantage de succès. Il créa le premier familistère en 1854 à Forest, dans l’Aisne, lieu d’une succursale des fonderies de Guise. En 1891, l’Association coopérative de Guise comptait 1177 salariés.

      «
      1 Les Saint-Simoniens
      2 Les Fouriéristes
      3 Pierre-Joseph Proudhon
      4 Louis Blanc
      5 Pierre Leroux (1797-1871)
      6 Philippe Buchez
      7 Étienne Cabet
      8 Louis Auguste Blanqui (1805-1881)
      9 Naissance du mouvement ouvrier
      10 Friedrich Engels (1820-1895)
      »



      Le socialisme utopique aujourd’hui

      « Malgré l’échec du mouvement issu de mai 1968, la modération des projets des partis socialistes au nom du réalisme (le contraire de l’utopie), la diffusion de l’idée que le libéralisme économique serait “incontournable”, le socialisme utopique n’est pas mort.

      L’esprit du socialisme utopique, soit l’idée que le changement social peut venir d’initiatives citoyennes, de la base, en s’insérant au sein de la société capitaliste pour le réduire, l’infléchir et à terme le remplacer, perdure. Et les solutions contemporaines sont les héritières des expériences communautaires et coopératives du XIXe siècle.

      Le socialisme utopique perdure à travers :

      Une partie de l’ économie sociale (associations, mutuelles, coopératives, fondations) terme regroupant aussi bien de réelles tentatives socialistes (petites coopératives, etc.), que de grandes organisations jouant le jeu du capitalisme.
      De nouvelles formes de communauté dans le cadre des mouvements alternatifs, des squats, des expériences d’autogestion, de communautarisme de lieux de vie, des écovillages, etc.
      »



      Pierre-Joseph Proudhon : Socialisme à tendance anarchiste.

      Module en cours de rédaction

  • Socialisme éclectique : le Français Louis Blanc (1811 - 1882) fut en son temps le socialiste le plus lu par les ouvriers. Mais la révolution bourgeoise de 1848 neutralisa son projet social et l’obligea à s’exiler.

    Initialement, journaliste et historien, Louis Jean Joseph Blanc fut influencé par les auteurs qui le précédèrent. Lorsqu’il publie en 1839 son Organisation du travail, il estime que la concurrence est nuisible à toutes les classes sociales. Pour remédier à son emprise et donc à ses effets, il faut, selon lui, réformer l’organisation du travail en profondeur.

    En 1848, les “républicains du lendemain” (conservateurs qui rejoignirent le gouvernement provisoire après le départ du roi Louis Philippe) tordent le cou à son projet d’Ateliers Sociaux, en mettant en place un système concurrent d’Ateliers Nationaux, délibérément voué à l’échec…
    ►►► Louis Blanc►►►► Les Ateliers Nationaux

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    • Trop révolutionnaire pour les uns, pas assez pour les autres .

      À l’issue de la Révolution de 1848 (avènement de la Deuxième République, jusqu’au sacre de Louis-Napoléon Bonaparte le 2 décembre 1852), après l’échec de son courant républicain progressiste qui ne réussit pas à faire accepter ses réformes sociales en faveur des chômeurs par l’Assemblée Nationale, il est obligé de s’exiler à Londres de 1848 à 1870. Il s’y lie d’amitié avec un des derniers économistes classiques : John Stuart Mill (voir en page précédente : L’économie politique classique).

      Il ne revint en France qu’après la chute du Napoléon III, après l’instauration de la Troisième République (1870-1940), et est élu député après la Commune de Paris en 1871. Mais alors, il est précédé par sa réputation révolutionnaire qui lui nuit auprès des conservateurs. Et dans le même temps, sa proposition d’Union des Classes ne fait pas recette dans les rangs de la gauche, jugé dépassé par le concept de Lutte des Classes du courant marxiste…


      Décadence sociale due à la concurrence

      Selon Louis Blanc, la société de son temps est plongée dans la décadence car la concurrence nuit à toutes les classes.

      La classe ouvrière est bien sûr la première touchée :

      car l’offre de force de travail étant supérieure à la demande (offre d’emploi inférieure à la demande d’emploi), ce sous-emploi chronique met les salariés en concurrence et joue à la baisse des salaires. C’est un procédé délibéré, qui fait que les prolétaires s’exterminent les uns les autres.

      Louis Blanc s’opposera donc au développement du machinisme, comme Sismondi, ainsi qu’à l’exode rural, et au chemin-de-fer qui accélère cet exode.

      Les dégâts au sein de la population ouvrière sont évidentes : alcoolisme, éclatement de la famille, délinquance, etc. En comparaison d’autres analystes du paupérisme à la même époque, le discours de Louis Blanc n’est pas moralisateur à l’encontre des ouvriers, car ce n’est pas à eux qu’il impute la responsabilité de leur dérive, mais à un désordre d’origine socioéconomique intolérable.

      La concurrence ruine également la bourgeoisie :

      comme Sismondi, Blanc considère que la recherche du bon marché n’est qu’un moyen pour les plus riches d’éliminer les producteurs les plus vulnérables. Il pense comme Sismondi que « la concurrence conduit au monopole ». Opinion qui sera partagée par Marx.

      en dernière instance, le bon marché aboutit donc à une augmentation générale des prix, par l’effet de domination exercé par ces monopoles.

      ● Contrairement à l’avis de l’économiste classique Jean-Baptiste SAY, on ne peut pas justifier cette concurrence par l’intérêt du consommateur, au nom de sa liberté de choix, puisqu’au bout du compte, il sera également perdant.

      Louis Blanc résume ainsi la situation :

      « Le système actuel menace la propriété des classes moyennes, tout en défavorisant les plus pauvres. »

      ● En outre, il estime, comme Sismondi, que la concurrence internationale mène à la guerre entre les nations.



      Nécessité d’une nouvelle organisation du travail.

      Louis Blanc considère, comme Marx, que les structures et l’organisation du système de production déterminent l’ordre social et politique.

      ● Pour combattre l’état de décomposition sociale résultant de la concurrence, une réforme politique de l’organisation du travail est nécessaire.

      or elle relève de l’intervention de l’État car il est la seule force organisée ayant une légitimité d’arbitre par rapport à la société. C’est donc à lui de réguler la production et de conduire les changements nécessaires. Louis Blanc considère que « l’État est le banquier des pauvres. »

      mais l’intervention de l’État doit constituer une nécessité transitoire. Par la suite, il pourra s’effacer. C’est la vison d’un socialisme décentralisé.

      ● Dans son livre Organisation du Travail, Louis Blanc défendait le droit au travail et proposait la création d’ateliers sociaux avec l’aide de l’État :

      La division technique du travail n’y serait plus la règle. La hiérarchie des travailleurs y serait décidée collectivement.

      Il était prévu que le bénéfice qui en résulterait serve à :

      assurer la prise en charge des travailleurs âgés (pension de retraite) et les infirmes (sécurité sociale),
      aider les industries en crise et permettre l’extension de ces ateliers à d’autres branches de l’industrie, en priorité les plus rentables.

      Il prévoyait le financement de ces créations d’ateliers par un emprunt contracté auprès des capitalistes, contre le versement d’un intérêt sur le capital avancé. Mais ils ne participeraient aux bénéfices qu’à la condition de travailler eux-mêmes dans ces ateliers (principe proposé également par un autre socialiste : Charles Fourier).

      ● Dans ce contexte seulement, la concurrence s’exercerait à l’avantage de l’atelier social, par rapport aux entreprises privées, qui finiraient par disparaître, non plus cette fois au détriment des ouvriers, mais au contraire dans leur intérêt. Jusqu’à extinction de la concurrence elle-même.

      ● Le rôle de l’État devrait se limiter à amorcer le processus, et moduler le mouvement d’essaimage du système.

      Nous discernons dans ce système certaines caractéristiques du secteur associatif, dont Louis Blanc encouragera constamment la formation, et d’une forme économique de type coopératif.


      Les raisons d’une expérience avortée.

      ● Au début de l’année 1848, lassée par l’immobilisme de Louis-Philippe et de Guizot face à la crise économique qui dure depuis 1846, l’opposition libérale réclamait une réforme électorale et parlementaire. Pour cela, elle organise une campagne de banquets. Mais le dernier, prévu le 22 février, fut interdit par le gouvernement. En réaction à cette mesure, des manifestations éclatèrent ce jour-là, et s’aggravèrent le lendemain (les 22 et 23 février).

      Le roi tenta d’éviter l’embrasement, en renvoyant Guizot. Mais une fusillade éclata boulevard des Capucines et Paris se souleva. L’armée ne parvenant pas à contenir le mouvement, Louis-Philippe abdiqua le 24 février 1848.

      ● Dès la chute du gouvernement Guizot et de la monarchie, le gouvernement provisoire de la nouvelle République en formation feignit de céder à la demande insistante d’ouvriers parisiens, qui lui réclament un engagement formel pour le droit au travail et la création d’Ateliers Sociaux, conformes aux propositions antérieures de Louis Blanc.

      ● Mais les conservateurs participant à ce gouvernement organisèrent l’échec du projet :

      tout en missionnant effectivement Louis Blanc, le gouvernement le plaça sous le contrôle d’une commission hostile (située au palais du Luxembourg) et lui refusa les moyens financiers nécessaires pour le mener à bien ;

      parallèlement, il confia à Pierre Marie de Saint-Georges, opposé à Louis Blanc, la mise en place d’un projet concurrent, la création d’Ateliers Nationaux. Ce projet, doté de moyens financiers très importants, a pour véritable objet de discréditer toute action d’aide à l’emploi, afin d’engloutir les Ateliers Sociaux dans le même naufrage.

      ● Contrairement au concept caractérisant les Ateliers Sociaux, les Ateliers Nationaux ne tiennent pas compte des modalités sociales d’organisation du travail et ne prennent pas en considération les savoir-faire des ouvriers. Et surtout, l’organisation associative coopérative prévoyant la participation des ouvriers associés aux bénéfices, est abandonnée. N’importe quel travail leur est imposé, même totalement inutile, et pour justifier une aide financière (et non plus une rémunération), ils doivent accepter de prêter main forte aux forces de l’ordre contre tout soulèvement populaire…

      Il ne fallut que 4 mois à Pierre Marie de Saint-Georges pour parvenir à ses fins : en dépensant des sommes considérables pour aucun résultat, il réussit à dresser l’opinion contre tout projet d’atelier national ou social, et contre la notion même de droit au travail.



      Un contexte historique biaisé

      ● Louis Blanc excluant tout recours à la violence, cette proposition de projet n’était envisagée par lui que dans le contexte d’une adhésion sociale unanime. En effet, il supposait que chaque classe sociale comprenne son intérêt d’y souscrire et d’y collaborer, la concurrence étant nuisible à tous.

      ● Lors de la Révolution de 1848, il est réclame la mise en place d’Ateliers Nationaux, dont la priorité est d’employer les chômeurs.

      Mais contrairement à la situation de la société française de 1839, lorsque Louis Blanc publia son Organisation du Travail, la révolution de 1848 n’avait rien de consensuel. De plus, il s’agit au contraire d’une révolution violente.

      Et même parmi les opposants au roi Louis Philippe, il y eut des courants contradictoires, entre les révolutionnaires de la veille (ceux de la première heure), et les révolutionnaires du lendemain, les opportunistes composés essentiellement de bourgeois et de notables conservateurs, qui finirent par récupérer le mouvement révolutionnaire à leur avantage, et imposer leur loi…

      ● Ce sont ces derniers qui s’employèrent à décrédibiliser les “Ateliers sociaux” de Louis Blanc, à travers le fonctionnement des “Ateliers nationaux” :

      taxant les chômeurs qu’ils employaient de profiteurs, et qualifiant par dérision ce système de “râteliers nationaux”

      De plus, le nombre de chômeurs étant très élevé, les inscriptions dans ces ateliers ne cessaient de croître. Les conservateurs crièrent à la ruine, alors que leur budget ne pesait guère que pour 1% du budget de l’État.


Marx et le marxisme

  • L’analyse socioéconomique marxiste demeure certainement la démarche la plus authentiquement scientifique, multidimensionnelle et systémique de la pensée économique. Mais il est important de ne pas confondre l’analyse marxiste et le marxisme politique.

    • Pour dépasser l’écueil que constitue le poids du passé, incarné par les régimes totalitaire qui se sont réclamés du marxisme, leur coût humain (et environnemental) et leur faillite économique étant encore souvent assimilés au marxisme, il est important de se rappeler la parole de Karl MARX : « Je ne suis pas marxiste ! », alors qu’il constatait déjà de son vivant une récupération idéologique de sa pensée à laquelle il n’adhérait pas et qui l’inquiétait.
    ►►►►
    ►►► Karl Marx►► Friedrich Engels


    (lire la suite…)

    • L’analyse socioéconomique de MARX (1818 - 1883) intègre et analyse en profondeur les interactions entre travail et capital, entre l’économie réelle et l’économie financière, dirions-nous aujourd’hui.
    • Et elle fait appel aux champs complémentaires et interdépendants des sciences sociales (la sociologie, de l’histoire, ou de l’anthropologie) sans lesquels l’analyse économique ne relève pas d’une science dynamique du vivant, mais :
      soit d’une fiction a priori (l’Homo Œconomicus et autres dogmes et impostures néoclassiques, relevant d’une scientologie de l’économie),
      soit d’une interminable autopsie a posteriori des membres du corps social, succombant massivement des défaillances de son économie, sans qu’aucun diagnostic épidémiologique permette finalement de prévenir le mal.
    • Module en cours de rédaction

« Que penserait Karl Marx de la crise économique actuelle ? »
“Une expérience de pensée économique fictive” - France Culture - Les Carnets de l’économie
Avec Michel Husson, chercheur à l’IRES (Institut de Recherches Économiques et Sociales)

►►►►►►Cliquer :
Michel Husson 1/4 : « La crise est elle un accident du capitalisme ? »
Michel Husson 2/4 : « Marx et la finance »
Michel Husson 3/4 : « La lutte des classes aujourd’hui »
Michel Husson 4/4 : « l’héritage de Marx »

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