Le Macroscope” - vers une vision globale

Essai scientifique de Joël de Rosnay


« Il nous faut donc un nouvel outil. Aussi précieux que furent le microscope et le télescope dans la connaissance scientifique de l’univers, mais qui serait, cette fois, destiné à tous ceux qui tentent de comprendre et de situer leur action. Aux grands responsables de la politique, de la science et de l’industrie, comme à chacun d’entre nous.

Cet outil, je l’appelle le macroscope ( macro, grand ; et skopein, observer ).

Le macroscope n’est pas un outil comme les autres. C’est un instrument symbolique, fait d’un ensemble de méthodes et de techniques empruntées à des disciplines très différentes. Évidemment, il est inutile de le chercher dans les laboratoires ou les centres de recherche. Et pourtant nombreux sont ceux qui s’en servent aujourd’hui dans les domaines les plus variés. Car le macroscope peut être considéré comme le symbole d’une nouvelle manière de voir, de comprendre et d’agir.

Servons-nous donc du macroscope pour porter un regard neuf sur la nature, la société et l’homme. Et pour tenter de dégager de nouvelles règles d’éducation et d’action. Dans son champ de vision, les organisations, les évènements, les évolutions s’éclairent d’une lumière toute différente. Le macroscope filtre les détails, amplifie ce qui relie, fait ressortir ce qui rapproche. Il ne sert pas à voir plus gros ou plus loin. Mais à observer ce qui est à la fois trop grand, trop lent et trop complexe pour nos yeux (comme la société humaine, cet organisme gigantesque qui nous est totalement invisible). Jadis, pour tenter de percer les mystères de la complexité, on recherchait les unités les plus simples qui permettaient de l’expliquer : la molécule, l’atome, les particules élémentaires. Mais aujourd’hui, par rapport à la société, c’est nous qui sommes ces particules. Cette fois, notre regard doit se porter sur les systèmes qui nous englobent, pour mieux les comprendre avant qu’il nous détruisent. Les rôles sont inversés : ce n’est plus le biologiste qui observe au microscope une cellule vivante ; c’est la cellule elle-même qui regarde au macroscope l’organisme qui l’abrite. »

Paris 1975 - Seuil Collection - Série Points Seuil - ISBN 2-02-002818-2